Chapitre 39 : Les pieds sur terre

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Nous arrivions au bord de l'eau, là où s'arrêtait l'île, et je ne comprenais toujours pas notre destination. Les limites se trouvaient ici, je ne voyais pas où nous pouvions aller ensuite. Je m'arrêtai à ses côtés et patientai qu'il fasse son tour de passe-passe, parce qu'il était sûr que nous n'allions pas en finir ici. J'analysai les alentours dans le silence et vînt m'apercevoir qu'une barque flottait non loin de nous. J'élargis alors mon champ de vision pour découvrir la seule partie de l'île à part, et bizarrement la plus sombre de toute. Celle-ci représentait une grotte en forme de crâne... Rien que cela ne me donnait pas envie d'y aller.

"Et ensuite ?" Questionnais-je à Peter, impatiente de savoir ce qu'on faisait ici.

Il regardait comme moi l'immense tête de mort en pierre et je commençais à me dire que là était notre destination. J'ai toujours prié pour éviter cet endroit, que je pensais autrefois être une sorte de cimetière des victimes de Pan, mais il semblerait que les souhaits ne fonctionnent plus si bien ici. Sinon, je serais déjà bien loin.

"As-tu déjà eu l'occasion de voler, ma chère Gwen ? Lança-t-il en se tournant, intrigué, vers moi.

-Tu le sais déjà, ça. Avec Henry...

-Parfait, tu as donc un peu d'expérience dans la matière." 

Il sortit de sa poche une fiole de poussière verte tandis que je m'empressai de faire un pas en arrière.

"Attends. Non... N'y penses même pas."

Je me souviens très bien de la sensation que m'a procuré ce saut dans le vide... Je pensais que mon cœur allait lâcher et me laisser tomber comme cette poussière de fée duquel j'ai eu énormément de mal à faire confiance. Si j'avais eu un autre choix ce jour-là, je l'aurais pris. Et justement aujourd'hui j'en ai un.

"Je ne crois pas que la barque soit là pour faire joli. Défendis-je en m'avançant vers cette dernière. Je préfère la prendre.

-Tu devras apprendre à voler, d'un moment ou un autre.

-Pourquoi cela ?"

Je le questionnai du regard, soupçonnant une information que je devrais connaître mais qu'il ne me dit pas. Pourquoi devrais-je donc savoir voler ? Ça ne m'est aucunement utile... Et puis, pourquoi cherche-t-il encore à m'apprendre des choses comme s'il éduquait son propre pion ? Je suis l'ennemie. Dès qu'il aura le dos tourné, j'en profiterais sûrement pour m'échapper (oui, bien sûr !) ou lui faire un coup bas. Il le sait bien ça... Alors pourquoi continuer à m'aider ? Je ne comprends pas moins ce comportement que celui de la dernière fois quand il a passé un marché avec moi. Il voulait que je reste près de lui, qu'importe le côté que je soutenais. Tant que je suis présente physiquement, il se fiche de savoir ce que je pense de lui...

De plus en plus soucieuse par le rôle de Joker dont je fais figure, je croise les bras en signe d'impatience.

"Peter ?" Insistais-je.

Ces yeux dévièrent sur le crâne géant qui se trouvait derrière-moi. Il soupira avant d'afficher un sourire que je ne compris pas.

"Ton problème Gwendoline, c'est que tu n'arrives pas à profiter des bonnes choses." Répondit-il brièvement.

Il se fiche de moi ?

"La faute à qui ? Rétorquais-je immédiatement. Parce que tu sais ce qui est bon pour moi, peut-être ? Tu n'as jamais agis dans mon intérêt mais seulement dans le tien ! Ne viens pas me dire après toutes ces années que je ne profite pas assez ! J'ai tenté des millions de fois de vivre ma vie comme je le souhaitais et devine qui a toujours réussi à détruire mes espoirs ? Toi !"

Ça y est, je m'emportais. Il avait suffit qu'il me provoque une dernière fois pour que je m'énerve pour de bon.

"Gwen...

-Non ! Tais-toi. Tu..."

Impossible de trouver mes mots. Que pouvais-je ajouter ? Jamais il ne me comprendrait.

"Vole, si tu veux. Finis-je par conclure. Je vais me rendre dans ta fichue grotte en barque, mais j'espère que ce n'est pas pour rien !"

Je lui tournai le dos avant de m'enfoncer dans l'eau et de grimper dans la barque. Deux rames étaient installées à l'intérieur, je n'avais plus qu'à me mettre en route.
Alors que je calais les rames dans le tolet,  j'eus une sensation étrange. Peter me guettait d'un regard transperçant. Je fus tenté de me retourner, mais cela aurait été bien trop facile. Pour lui. Non, je ne vais pas réagir parce qu'il le demande. Si je dois l'ignorer, je le ferais jusqu'au bout.

Les rames à l'eau, je m'éloigne du bord, pensive et anxieuse de savoir ce qui m'attend à destination.

***

Les escaliers qui se trouvent à l'entrée me conduisent directement à l'endroit désiré. Comparé à sa sœur, la grotte de l'écho, celle-ci est bien plus éclairée et simple d'accès. Si la première est discrète et peu effrayante à l'extérieur, c'est l'enfer à l'intérieur. Au contraire, celle où je me trouve actuellement est beaucoup moins oppressante et sombre que je ne le pensais.

J'arrive dans un grand espace ouvert par deux énormes ouvertures qui formaient les creux des yeux de la tête de mort. Peter se trouvait là, j'imagine depuis bien longtemps, à regarder un gigantesque sablier en or, enseveli par des crânes de même texture. À l'intérieur, le sable glissait sur les parois de verre, jusqu'à atteindre le fond. Le temps semblait s'être écoulé depuis longtemps.

"Qu'est-ce que c'est ? Questionnais-je en m'approchant.

-Un sablier. S'amusa-t-il à répondre, ingénu.

-Merci ! Pourquoi est-il ici ? Le temps n'est-il pas arrêté au Pays Imaginaire ?

-Tu as raison. La magie de l'île permet aux êtres vivants qui y vivent de ne pas être influencé par le temps. Or, vois-tu, la magie a un temps limité."

Il se recula de l'objet doré et vînt se placer au centre de la grotte, là où il se dirigea vers moi.

"En devenant le maître de l'île, j'ai brisé les règles. Continua-t-il. Le Pays Imaginaire est une source de magie inépuisable, mais en utilisant cette énergie à des fins personnelles, pendant trop longtemps, elle finit par ne plus être suffisante.

-Ce sablier comptabilise le temps qu'il reste à l'île de vivre ?

-Non. Il comptabilise le mien."

Je me concentrai sur la partie haute de la verrerie. Le sable restant n'en remplissait même pas 1/4, et continuait de s'écouler abondamment. En me retournant vers Peter, je réalisai quelque chose que jamais je ne crus pouvoir un jour imaginer.

Sa fin était proche.

♦ Le Pays Imaginaire ♦ «Let's play»Où les histoires vivent. Découvrez maintenant