♦ Le Pays Imaginaire ♦ «Let's play»

Chapitre 4 - L'autre camp

Le chemin est étrangement bien dégagé. Moi qui avait l'habitude de trancher quelques feuilles et branches sur le trajet, là c'est comme si quelqu'un venait de faire le sale boulot à ma place. Pourtant quand je regarde de plus près, je peux affirmer que rien n'a été fauché, en tout cas aucune trace ne le montre.

"Trop simple..." me répétais-je

Je peux déjà apercevoir au loin l'endroit où Henry serait en sécurité. Ça me rassure un peu, tant qu'il ne se fait pas attraper.

"On y est presque, Henry." lui dis-je.

Aucune réponse.

Je me retourne pour vérifier qu'il m'ait bien entendu, peut-être est-il un peu anxieux ou simplement pensif pour la suite, ce qui serait compréhensif. Aucun des deux, il n'est plus là.

"Henry ?!"

Je viens de perdre la personne que je devais protéger. Comment ai-je réussi à faire ça ? Il n'y a pas pire que moi comme protecteur !

"Henry ! C'est pas drôle... Où es-tu !?"

Je rebrousse chemin, espérant à tout prix le retrouver. Pourquoi n'a t-il pas suivi ? Peut-être a t-il eu un problème, ou s'est-il fait mal... Non, c'est ridicule, il m'aurait appelé.

"C'est pas vrai... Je l'ai perdu..."  Me répétais-je

J'arrache une branche d'un arbre que je retranche en deux avant de la jeter le plus loin possible. C'est de ma faute... Je ne suis même pas capable de m'occuper d'un petit garçon. Si ça se trouve il a juste été repris par Peter et sa bande...

"Aïe !"

Un bout de bois me heurte le crâne avant de retomber par terre. C'est celui que j'avais jeté il n'y a même pas une minute. Serais-je tombé sur un boomerang ? Je remonte la tête et aperçois l'individu m'ayant renvoyé de pleine force la branche.

"Peter..."

Pourquoi tant de haine ?

"Salut Gwen. Surprise de me voir ?"

Il est là, devant moi. Appuyé contre un des troncs d'arbres et attendant ma réponse. Courir serait une erreur, il me rattrape toujours. Tandis que m'abstenir de répondre ne serait qu'une pincée de temps de gagné... Autant aller droit au but.

"-Pas tant que ça finalement... Qu'est-ce que tu veux ?

-Je suis venu te demander la raison pour laquelle tu as fait ça."

Il se décroche de l'arbre et s'avance dans ma direction tout en continuant son précieux discours. Je n'ai pas envie d'écouter mais j'imagine que je n'ai pas trop de choix qui s'offre à moi. Je ferai donc un effort, mais sans montrer une once de plaisir pour autant.

"-On se connait depuis longtemps Gwen, tu devrais savoir que j'obtiens toujours ce que je veux. Ce que tu as fait était très naïf de ta part. Tu sais que je suis au courant de tout ce qu'il se passe sur cette île. Et tu sais aussi que j'ai besoin de lui.

-Ce garçon n'a rien demandé.

-Ce garçon détient le cœur du plus pur croyant, il peut sauver la magie.

-Arrête de dire ça ! On sait très bien tous les deux que c'est faux. La seule chose que tu veux sauver c'est toi !"

Son sourire s'effaça la seconde qui suivit. Il sait que je suis au courant, mais ne l'a jamais entendu de ma bouche. C'est vrai qu'auparavant j'avais trop peur de lui demander si cette vaste rumeur était vraie... Mais aujourd'hui les choses sont différentes : la vie d'un petit garçon est en jeu.

"Où est Henry ?" finis-je par m'impatienter.

"-En sécurité.

-Avec toi et les autres ? Il va falloir revoir ta définition de sécurité."

Il lève les yeux en l'air et me tourne le dos. Je sais sans même le voir, qu'il a déjà repris son sourire moqueur et ses airs supérieurs. Pourquoi ne puis-je pas en faire autant ? J'ai beau être debout face à lui, je me sens encore comme dans ma cabane : assise sur le sol, l'air insignifiante et sans aucun contrôle sur moi-même. Dépendante. Voilà le mot que je cherchais, je me sens dépendante.

"Pourquoi me vois-tu tout le temps comme une menace ? Tu ne t'es jamais dit que j'étais peut-être de ton côté. Je ne suis pas aussi cruel que tu ne le crois."

Je souris à mon tour. Il ment comme il respire...

"-Tu pourrais arrêter de me mentir une bonne fois pour toute ? Je sais très bien que tu ne penses pas un mot de ce que tu dis. Tu n'as jamais été là pour moi, jamais !

-C'est toi qui n'a pas voulu créer des liens. Je t'ai proposé de nous rejoindre et d'avoir une nouvelle famille mais tu as préféré t'isoler, c'était ton choix !

-Je te répète pour la millième fois que je ne suis pas perdue ! J'ai une famille !

-Tu parles de ton père qui est mort lors d'un accident de voiture ? Ou bien de ta mère avec qui tu t'es disputée le soir-même de ton départ ? Je ne pense pas que tu aie encore des liens avec eux. Dès que tu as posé les pieds ici tu es devenue celle que tu as toujours cru être, une orpheline."

Des larmes coulent sur mes joues. Ce sentiment de tristesse, colère et haine, avec ce manque... Ce trou dans mon cœur. Tout refait surface. Bravo Gwen, tu te montres encore plus faible face à l'adversaire.

Je n'arriverai pas à parler correctement sans fondre en larmes la seconde d'après. J'ai envie de partir, retourner dans ma cabane et me recroqueviller dans un coin, seule. M'isoler. C'est la seule chose que je sais faire après tout. Si je pars maintenant, ce serait comme si j'abandonnais. Ce n'est pas mon genre. Mais ne rien dire est tout aussi stupide... Il faut bien que je réplique quelque chose. Montre-toi plus forte Gwen. Plus forte que lui.

Je sèche mes larmes avec ma manche et inspire un grand coup. Si je devais dire tout ce que je pense maintenant, ça prendrait quelques heures. Et je n'ai pas vraiment envie de perdre mon temps avec lui.

"Peter, si un jour j'ai besoin d'une famille, ce ne sera certainement pas vers toi que j'irai. Alors remballe tes belles paroles, ça ne sert à rien."

Il me fixe de ses yeux bleus et laisse apparaître un léger et fin sourire. On dirait qu'il ne croit pas ce que je lui dit, mais qu'il fait comme si.

"Bien, j'imagine que tu as choisis ton camp."

Je maintiens son regard de façon à confirmer ce qu'il vient de dire. Il s'apprêtait à partir, par téléportation où peut-être simplement en volant qui sait,mais je le retins avant.

"Attends..."

Je regrette vite ce geste. Pourtant c'est trop tard, il est déjà fait. Je dois maintenant lui poser la question qui m'angoisse depuis déjà longtemps. Je n'aurai peut-être plus l'occasion d'un tel face à face, plus maintenant que je suis passée dans l'autre camp.