Chapitre 2-2

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J'hésitai de longues secondes...tellement, que mon sauveur providentiel était déjà parti quand j'osai de nouveau bouger un cil. J'étais restée là, pétrifiée et tremblante. Terrifiée par la peur que les deux hommes ne changent d'avis et ne me trouve. J'attendis encore un peu, pour être certaine d'être seule, avant de sortir tout doucement du buisson qui venait de me servir de cachette.

Toute cette situation était tellement surréaliste, que j'aurais pu croire à un rêve. Un rêve extrêmement réaliste et flippant duquel j'allais certainement me réveiller d'un instant à l'autre. Mais j'eus beau y croire de toutes mes forces, deux minutes plus tard j'étais toujours debout comme une idiote sur ce terrain vague froid et humide, à attendre bêtement que les deux hommes reviennent ! réalisai-je alors que l'hébétude lié à la surprise et au choc des derniers évènement, commençaient lentement à se dissiper.

Cette sinistre prise de conscience me secoua assez pour que je me décide enfin à bouger, forçant mon corps ankylosé à se mettre en mouvement. Je n'allai pas loin cependant et m'immobilisai à nouveau au bout de quelques pas, lorsque les crissements des pneus de plusieurs voitures s'arrêtant brusquement me parvinrent soudain de la rue toute proche.

Plusieurs personnes en descendirent bruyamment et se mirent à s'invectiver en plusieurs langues. Du peu que je pus comprendre, c'était un règlement de compte entre deux bandes du quartier, qui risquait de très vite mal tourner. Il ne manquait plus que ça, me dis-je en m'accroupissant précipitamment derrière un nouveau buisson, mon cœur battant la chamade. Cette soirée de cauchemar n'allait donc jamais avoir de fin ? gémis-je intérieurement, désespérée et transie.

Les menaces et les cris continuèrent pendant plusieurs minutes sans qu'aucun des petits caïds ne me remarque, ce qui me rassura momentanément. Le problème était qu'ils bouchaient la seule sortie disponible, m'obligeant à m'enfoncer à l'intérieur du terrain vague si je voulais avoir une chance de regagner une rue et un quartier plus fréquentable. À moins que je n'attende là toute la nuit, avec le risque d'être découverte à tout moment et de chopper une pneumonie ! Au final...je n'avais pas vraiment le choix, réalisai-je avec un soupir résigné.

C'est hésitante que je commençai à m'avancer lentement vers les ténèbres épaisses qui recouvraient l'arrière du terrain, m'évertuant à être la plus discrète possible. Ce qui s'avéra de plus en plus compliqué à mesure que je m'éloignais de la faible clarté de la rue, les obstacles divers qui jonchaient le sol me faisant trébucher. Je m'arrêtai quelques instants, le temps que mes yeux s'habituent à la pénombre, avant de reprendre ma pénible progression.

Pour quelques pas seulement, car mon pied butta dans quelque chose de mou et je m'étalai de tout mon long. Par réflexe, je mis mes mains en avant pour amortir ma chute et ne put m'empêcher de crier lorsque ma main droite atterrit sur un morceau de verre partiellement enterré et m'entailla la paume, me faisant gémir de douleur.

Je me redressai immédiatement et ramenai instinctivement ma main blessée contre ma poitrine. Je sentis le sang commencer à ruisseler le long de mon poignet et grimaçai sans oser regarder. Il allait bien falloir pourtant, essayai-je de me raisonner. Je ne pouvais pas rester assise par terre, dans le froid comme une cruche ! Rassemblant mon courage, je me décidai à ouvrir enfin les yeux et à poser mon regard sur ma main crispée. Avec effort et une certaine appréhension j'entrepris d'ouvrir doucement mes doigts pour estimer les dégâts.

Le peu de luminosité ambiante qui venait de provoquer ma chute était pour le moment une bénédiction, car elle rendait tout grisâtre, même le sang ! Ce qui, au vu de l'état de ma paume, était une très bonne chose. La coupure était profonde, irrégulière et ses bords déchiquetés laissaient passer un flot de sang qui ne semblait pas vouloir s'arrêter. Je n'étais pas une petite nature et la vue du sang ne me rebutait pas d'ordinaire, mais avec tout ce qu'il venait de se passer, je sentis des tremblements incontrôlables commencer à parcourir mon corps, provoqués par le choc et le froid humide qui semblait pénétrer mes os.

Dans un sursaut de prise de conscience, je soulevai maladroitement mon blouson et d'une seule main entreprit de déchirer un morceau de mon tee-shirt. Le tissu usé céda facilement et je confectionnai un bandage serré pour stopper au mieux le saignement, le temps que je puisse me rendre à l'hôpital. Je n'étais pas médecin, mais du peu de ce que j'avais pu voir, je n'échapperais certainement pas aux points de sutures.

Toujours tremblante, je me mis à genoux avant de me relever prudemment. Ce n'était pas le moment de m'esquinter encore une fois sur ce qui pouvait se trouver éparpillé dans cette décharge. C'est alors que je baissais la tête pour trouver un endroit sûr ou poser mon pied que je le vis, l'objet qui m'avait fait chuter...et qui au final, n'en était pas un. C'était un corps !

Un gémissement apeuré s'échappa de mes lèvres tandis que je fixais, complètement abasourdie et sans vraiment le voir, le corps étendu devant moi sur la terre gelée. Tout ça ne pouvait pas être vrai ? Je ne pouvais pas avoir trébuché sur un cadavre ? C'était...trop...tout simplement trop ! parvins-je encore à me dire alors qu'un rire nerveux s'échappait hors de mes lèvres malgré moi.

Mes tremblements s'intensifièrent tandis que je tentais de reprendre mes esprits et de ne pas paniquer. La panique ne servait à rien, il fallait toujours réfléchir. Les mots que me répétait souvent ma mère lorsque j'étais petite me revinrent soudain et m'aidèrent à retrouver un semblant de calme. Mon instinct me disait que je venais sans doute de trouver la jeune fille dont parlaient les deux hommes tout à l'heure et que je ferais mieux d'aller prévenir la police le plus vite possible. Sauf que mon corps et mon cerveau paraissaient subitement déconnectés, mes membres refusant de m'obéir. Formidable, après une absence presque totale d'émotions, voilà qu'elles me submergeaient ! c'était bien le moment, me dis-je inutilement.

Je devais être en état de choc. Mais j'avais beau en avoir conscience, je ne parvenais pas à en sortir. C'est le gémissement étouffé, ainsi que l'infime mouvement du cadavre, qui me sortit de ma torpeur.

Ce n'était pas un cadavre en fait, cette pauvre fille était encore en vie ! Dans un mouvement maladroit, je me précipitai sans réfléchir vers la jeune femme pour tenter de la secourir. Elle remuait faiblement sur le sol et un gémissement ténu s'échappait de ses lèvres toutes craquelées. Elle était pieds nus et ne portait pour tout vêtement qu'une sorte de grand tee-shirt tout déchiré. Tous ses membres étaient couverts d'égratignures et de contusions, résultant sûrement des nombreuses chutes qu'elle avait dû faire sur ce terrain inégal et rempli d'obstacles en tout genre durant sa fuite.

En l'examinant d'un peu plus près je me rendis compte qu'elle avait les mains attachées devant elle par des menottes et que ses chevilles étaient enchevêtrées dans un fouillis de corde et de brindilles. Elle était certainement tomber à cet endroit à cause de cela, évitant par miracle l'écharde de verre acérée de seulement quelques centimètres.

Je n'attendis pas plus longtemps et entrepris aussitôt de démêler l'écheveau de nœuds qui lui immobilisait les jambes, tout en lui murmurant des paroles rassurantes. Bien qu'elle ait bougé à peine quelques minutes auparavant, à présent elle ne semblait plus réagir et ses yeux restaient fermés. J'essayai de libérer ses fines chevilles, mais j'eus beau m'acharner jusqu'à m'en faire mal aux doigts, mes gestes fébriles et maladroits ne parvinrent qu'à m'abîmer un peu plus la main à emmêler d'avantage l'ensemble !

Dans un gémissement découragé je cessai de m'acharner et là, à genoux dans la gadoue, me forçai à réfléchir. Il me fallait un outil, quelque chose de coupant pour trancher cette corde. Fébrilement je retournai à tâtons et avec une extrême prudence vers le morceau de verre abandonné plus loin. S'il m'avait tranché si facilement la main, une simple corde ne devrait pas lui poser de problème ! pensai-je avec espoir, me disant que c'était ma dernière chance de la libérer sans aide.

Il s'avéra qu'il était profondément enfoncé dans le sol et je fus donc obligée de creuser tout autour, pour le dégager. La pluie, qui n'avait cessait de tomber depuis plusieurs jours, était à cet instant une vraie bénédiction car la terre détrempée était meuble et relativement facile à déblayée. Le tesson, qui provenait à première vue d'une bouteille, faisait environ vingt centimètres de long et à peine dix de large. Restait à savoir comment m'en saisir sans me blesser davantage ? Comme une seule solution logique s'offrait à moi, je n'hésitai pas et enveloppai le morceau de verre d'un pan de mon blouson avant de m'en emparer. Une fois mon couteau improvisé bien en main, je retournai rapidement vers la jeune fille, bien décidée à venir à bout de cette corde récalcitrante...et me heurtai à deux grands yeux bleus écarquillés.

Ombre FauveOù les histoires vivent. Découvrez maintenant