Chapitre 16-1

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Le premier à entrer fut Aaron, qui déboula dans la pièce au pas de course et se précipita vers sa fille sans même m'accorder un regard. Ensuite vinrent deux femmes que je ne connaissais pas et finalement Eva, qui fermait la marche. Je ne m'attendais pas à grand-chose de sa part, mais espérais tout de même un mot, un petit signe, quelque chose...qui ne vint pas ! Elle me dépassa comme les autres, comme si j'étais invisible et malgré mon épuisement cet ostracisme raviva ma colère, me donnant l'énergie nécessaire pour me redresser et commencer à me relever.

Mes jambes ankylosées protestèrent en tremblant violemment lorsque je me mis debout et je dus m'appuyer sur le mur pour continuer mon mouvement. Un étourdissement me saisit alors que je relevais trop vite la tête. Je me voyais déjà par terre quand quelqu'un me saisit par le bras d'une poigne ferme mais douce, m'évitant la chute.

— Oh là, doucement jeune fille ! s'exclama une femme à la voix grave et bienveillante, en m'aidant à stabiliser ma posture.

— Merci, répondis-je dans un souffle rauque à la femme aux cheveux gris avec laquelle Nicolas avait parlé, il y avait de cela une éternité me semblait-il.

D'ailleurs en parlant de Nicolas, où était-il ? me demandai-je. J'avais bien entendu sa voix tout à l'heure, pourquoi n'entrait-il pas avec les autres ? Je m'apprêtais à lui poser la question lorsque l'une des deux inconnues se tourna vers nous, son regard coléreux et contrarié braqué sur moi.

— Que fais-tu Spéra ? Cat a besoin de toi !

— Non ! répondit cette dernière d'un ton sans réplique en se tournant vers elle. C'est cette jeune femme qui a besoin de moi dans l'immédiat. Cat est hors de danger pour le moment et peut bien attendre quelques minutes...pas la peine d'en rajouter ! ajouta-t-elle en haussant le ton lorsque la jeune femme voulu répliquer. Venez, je vais vous conduire dans un endroit plus calme, me dit-elle gentiment en me guidant vers la porte.

Je me laissai faire, trop heureuse de quitter cette pièce triste et déprimante où la désapprobation et le rejet planaient comme un mauvais brouillard. Je pouvais presque sentir leurs regards me bruler le dos tandis que nous franchissions la porte.

— Où est Nicolas ? osai-je enfin demander alors que nous traversions la pièce adjacente.

— Nous allons le rejoindre justement, me répondit-elle avec un petit sourire bienveillant. Qu'y a-t-il entre vous ?

— Ri...rien ! bredouillai-je, décontenancée par sa question. Je ne le connais même pas, ajoutai-je d'une voix un peu plus assurée. C'est juste que...il est la seule personne que je connaisse un tant soit peu ici.

— Oui bien sûr ma question était idiote, s'empressa-t-elle de me répondre avec un sourire un peu forcée. Oh mais je ne me suis même pas présentée, s'exclama-t-elle avec bonne humeur tandis que nous franchissions une nouvelle pièce carrée, vide et morne. Je m'appelle Esperanza, mais ici tout le monde me surnomme Spéra et je suis médecin, ajouta-t-elle avec une pointe de fierté confirmant ma première impression à son sujet.

— C'est un joli prénom, dis-je pour meubler le silence oppressant qui venait de s'installer même si je n'avais pas vraiment la tête à faire la conversation. Trop de questions se bousculaient sous mon crâne, sans compter la douleur de mon épaule qui se réveillait maintenant que l'adrénaline et le stress n'étaient plus là pour la masquer.

— Merci. C'est vrai que je n'ai pas vraiment le physique qui va avec ! ajouta-t-elle dans un éclat de rire spontané. Je suppose que c'est pour cela que Spéra s'est imposé avec le temps.

C'est vrai que son teint pâle, ses cheveux portant encore quelques mèches blondes et ses traits plutôt slave, ne correspondaient pas vraiment à la consonance latine de son prénom. Il était vrai que Spéra collait plus à son physique, à la réflexion.

— A quoi servent toutes ses pièces vides ? demandai-je finalement, plus intéressée par cette bizarrerie architecturale que par les origines du prénom d'une inconnue.

— De sas de sécurité. Plutôt efficace, non ?

— Parce que ce genre de problème vous arrive souvent ? ne pus-je m'empêcher de m'exclamer.

— Non, fort heureusement ! C'est même la première fois que nous nous en servons réellement...

Tiens, pourquoi parlait-elle plus bas tout à coup, fut la dernière pensée cohérente qui me parvint, avant que je ne me sente partir en arrière, le corps léger et la tête vide. Spéra me rattrapa une nouvelle fois avant que je ne touche le sol, m'enjoignant à ne pas m'évanouir et à tenir le coup encore quelques minutes. Je réussis à lui obéir puisque je restais consciente, même si la suite du trajet ne s'ancra pas dans ma mémoire. Je n'émergeai de ma semi-torpeur qu'a l'instant où nous pénétrâmes dans une pièce spacieuse et bien éclairée, probablement stimulé par le changement radical de décors.

Nous devions être remonté au rez-de-chaussée car une fenêtre arrondie et monumentale ornait le mur de gauche, laissant pénétrer la douce lueur du crépuscule qui parait de nuances chaleureuse le bureau en bois sombre disposée devant. Le parquet précieux était recouvert de plusieurs tapis, mêlant artistiquement le blanc, l'ocre et le vert pâle, c'était ridiculement classe, me dis-je en retenant un gloussement stupide tandis qu'elle me conduisait jusqu'à un canapé en cuir beige. C'est à l'instant où Nicolas se leva précipitamment que je me rendis compte de sa présence.

— Ne bouge-pas ! lui ordonna Spéra, tu dois reprendre des forces. Veilles sur elle le temps que j'aille chercher mon matériel, ajouta-t-elle tandis qu'elle me faisait assoir d'une poigne de fer à laquelle je ne pus pas résister.

Puis sans un mot supplémentaire, elle quitta la pièce comme une tornade, nous laissant seuls tous les deux dans un silence gêné. Je me sentais de plus en plus mal, la douleur et la fatigue essayant de nouveau de m'entraîner vers l'inconscience. Pour ne pas m'évanouir pour de bon, je concentrais mon attention sur Nicolas. Il était méconnaissable, son visage déparé par des traînées de sang et plusieurs hématomes en formation.

— C'est impressionnant mais ce n'est rien, me dit-il avec une ébauche de sourire, qui rouvrit instantanément sa lèvre fendue, devant mon regard fixe et consterné.

C'est alors que la tête me tourna brusquement. Me sentant partir en avant, je stoppai ma chute en me retenant au bord du canapé de mon bras droit. Mouvement réflexe qui m'arracha un cri involontaire de douleur lorsque ma blessure à l'épaule se réveilla brutalement.

— Vous êtes blessée ? me demanda Nicolas d'une voix inquiète en se levant rapidement malgré son état.

— Cat s'est réveillée et elle...elle m'a...agripper fortement l'épaule, tentai-je d'expliquer maladroitement, mon esprit encore embrouillé par mon malaise.

— Laisser-moi regarder ? me demanda-t-il gentiment en avançant avec douceur sa main abîmée vers mon poignet.

Je lui donnais mon accord et avec des gestes doux et précautionneux il écarta légèrement le tissu de mon sweat ce qui m'arracha un gémissement.

— Merde ! s'exclama-t-il soudain, me tirant de ma torpeur. Cat vous a griffé. Respirez un grand coup, ça va faire mal, me dit-il en se mettant à appuyer fortement sur ma blessure.

La douleur fusa dans mon corps, brut et implacable et je hurlai.

— Votre blessure s'est rouverte et vous perdez beaucoup de sang, je dois faire pression sur la plaie pour endiguer l'hémorragie, m'expliqua-t-il tandis que j'essayai de reprendre mon souffle. Cat s'est métamorphosée devant vous ? me demanda-t-il dans un murmure résigné.

— Oui...que sa main, lui répondis-je d'une voix tremblante. Je vais devenir comme vous à présent ? 

Ombre FauveOù les histoires vivent. Découvrez maintenant