Chapitre 19-1

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— Où avez-vous entendu ce mot ? me demanda-t-elle d'un ton fâché en se levant pour aller chercher une éponge dans l'évier. Je suppose qu'il sortait tout droit de la bouche d'Eva ? ajouta-t-elle en commençant à éponger les dégâts avec des gestes nerveux qui exprimaient bien sa colère.

— Non, lui répondis-je d'une voix prudente un peu surprise par sa réaction. La première fois, je crois que c'était Aaron.

L'étonnement lui fit relever la tête vers moi et je pus voir de la tristesse passer dans ses yeux.

— Comment a réagi Nicolas ? me demanda-t-elle en se rasseyant dans un soupir.

— Je ne sais pas vraiment...j'étais dans les vapes. J'ai même cru que c'était son prénom, lui avouai-je en avalant une nouvelle gorgée du breuvage chaud et amère.

— C'était durant le sauvetage de Cat ?

— Oui c'est ça. Aaron voulait me laisser là-bas et Nicolas s'y opposait...il aurait peut-être dû finalement, marmonnai-je pour moi-même.

— Il a bien fait au contraire ! s'insurgea Esperanza en atténuant la violence de sa réponse par un petit sourire.

— Comment avez-vous fait pour m'entendre ? lui demandai-je. J'ai à peine chuchoté.

— Etre métamorphe confère quelques avantages non négligeables, m'expliqua-t-elle, dont une ouïe un peu supérieure à la moyenne. Si vous étiez resté là-bas, vous seriez morte et certains d'entre nous certainement aussi, reprit-elle soudain d'une voix sérieuse comme si je ne l'avais pas interrompu. Aaron en est conscient, mais simplement trop fier pour le reconnaître

— Ce mot signifie quoi, alors ? retentai-je à nouveau, ne voulant pas me laisser entraîner dans une autre conversation.

— C'est un mot Indien qui signifie monstre, abomination. Jamais je n'aurais pensé l'entendre dans la bouche d'Aaron...cela a certainement beaucoup ébranlé et blessé Nicolas, même s'il n'en dira jamais rien.

— Pourquoi l'appelle-t-il comme ça ? demandai-je surprise.

Ce qualificatif ne collait tellement pas avec le peu que je connaissais de l'homme...ou du métamorphe, plutôt ! pensai-je, un brin sarcastique, ayant encore un peu de mal à me faire totalement à l'idée.

— Parce qu'il est différent.

Sa réponse arriva dans un soupir las, tandis qu'elle poussait vers moi l'assiette pleine de gâteaux que personne n'avait encore touché.

— Tenez, il faut que vous mangiez quelque chose, vous devez reprendre des forces.

— Différent comment ? Ce n'est pas un tigre, comme vous ?

Pour toute réponse Spéra poussa encore un peu plus le plat vers moi, me gratifiant d'un regard appuyé plus qu'éloquent.

— J'ai déjà mangé dans la chambre, je n'ai pas...

— Grignoter un croissant ne suffit pas ! Vous avez été blessé, mangez !

Comment pouvait-elle savoir ce que j'avais déjà avalé ou non ? Ils te surveillent pauvre pomme, conclus-je toute seule au bout de quelques secondes. Non mais je m'attendais à quoi ! D'un geste agacé je me saisis d'un muffin rebondis. Peut-être que si j'avalais ce stupide gâteau j'aurais enfin les réponses à mes questions.

— C'est pour notre sécurité autant que la vôtre, me dit Esperanza. Vous comprenez que l'on ne peut pas laisser des étrangers dans ce manoir sans surveillance.

— Vous êtes télépathes aussi ? lui rétorquai-je du tac-au-tac d'un ton excédé en croquant avec ostentation dans la pâtisserie...qui était délicieuse et me fit un bien fou, même si je ne l'aurais jamais reconnu !

— Non, seulement très observateur, me répondit-elle malgré le ton clairement ironique et moqueur de ma question. Non, Nicolas n'est pas un tigre, ajouta-t-elle manquant me faire avaler ma bouchée de travers.

Je bus une gorgée de thé pour faire passer les miettes coincées dans ma gorge pendant que je réfléchissais à toute vitesse. Franchement j'avais avancé cela un peu au hasard et je ne pensais pas qu'elle me répondrait.

— Il est quoi alors ? C'est un aigle ?

— Non, mais ce n'est pas à moi de vous révéler sa vraie nature, c'est à Nicolas. Il le fera, quand il sera prêt, ou qu'il jugera que vous, vous l'êtes.

— Comment ça, je ne comprends pas...

— Le contraire serait inquiétant, rétorqua-t-elle dans un petit rire. Sachez juste que Nicolas est un être...à part. Il a eu une vie difficile alors, essayez de ne pas trop le faire souffrir.

— Pourquoi dites-vous cela ?

— Je vois comment il vous regarde et vous aussi, quand vous relâchez le contrôle.

— Quoi ! Mais non, pas du tout, c'est...je...je ne le connais même pas, c'est...

— ...c'est de l'attirance, termina-t-elle une nouvelle fois à ma place, me clouant le bec. Je ne crois pas vraiment au coup de foudre et autres niaiseries que l'on peut trouver dans certains romans à l'eau de rose, que j'aime lire d'ailleurs, ajouta-t-elle en me faisant un petit clin d'œil. Mais la réalité c'est que neuf fois sur dix, on débute une relation à l'instinct, parce qu'on est attiré par la personne que ce soit physiquement ou pour une autre raison. Cela se termine rarement comme dans les romans par contre je vous l'accorde, mais c'est la réalité et c'est ce qu'il vous arrive à tous les deux...que vous vouliez le reconnaitre, ou non.

Sa tirade terminée elle se leva et alla rincer sa tasse avant de la poser dans l'égouttoir en inox rutilant qui paraissait aussi neuf que le reste de la cuisine, hormis les meubles. Ce qu'elle venait de dire était vrai. Presque chaque histoire d'amour commence par un coup de cœur, une attirance inexpliquée que l'on suit ou pas. Mais était-ce vraiment en train de se produire entre moi et Nicolas, je ne le pensais pas. Je m'étais accroché à lui car il était ma seule référence ici et lui avait d'instinct voulu me protéger, mais ça s'arrêtait là !

— Si Nicolas n'est pas un tigre, pourquoi vit-il avec vous ? repris-je, voulant à tout prix changer de sujet. Et pourquoi est-il le second de Aaron ? réalisai-je soudain, posant la question en même temps que mon esprit la formulait.

— Parce qu'Aaron l'a recueilli lorsqu'il était enfant et qu'il le considère un peu comme son fils. Mais ce n'est pas à moi de vous dire tout ça...

— Exactement ! résonna sinistrement la voix de Nicolas qui se répercuta en échos désapprobateurs sur les murs de la pièce, alors qu'il entrait en trombe avant de fixer Esperanza d'un regard noir.

— Arrête ton cinéma de grand brun ténébreux ! lui dit-elle en le réprimandant comme s'il était un petit garçon. Cette pauvre Rose avait besoin de réponses et on les lui doit, maintenant le reste ne dépend que de toi et tu sais ce que j'en pense.

— ça pour le savoir ! commenta-t-il dans un grondement mécontent en s'avançant dans la pièce d'une démarche rapide et nerveuse.

— Il y a un problème ? lui demanda-t-elle, soudain inquiète.

Il ne lui répondit pas et se contenta de s'approcher de moi avant de me tendre la main.

— Rose, vous devez venir avec moi, tout de suite. 

Ombre FauveOù les histoires vivent. Découvrez maintenant