Chapitre 12-2

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Je me retrouvai une nouvelle fois dans la pénombre, en haut d'un escalier en béton brut tout ce qu'il y avait de plus ordinaire. Du genre de ceux qui mène dans les cave de tous les pavillons dignes de ce nom...froid, impersonnel et étroit. La seule différence notable était qu'il semblait descendre beaucoup plus bas que la normale si je devais en juger par le palier surmonté d'une unique ampoule nue, où je venais d'être stoppée net. Bloquée dans mon élan par Eva, qui venait de m'agripper par le haut de mon sweat en me tirant brutalement en arrière.

— Dépêche toi, on n'a pas toute la journée ! apostropha-t-elle Nicolas, qui avait de toute évidence des difficultés à descendre les marches seul, du fait de l'absence de rampe sur laquelle s'appuyer.

— Toi, va nous attendre au bas des marches, m'ordonna-t-elle d'un ton qui aurait mieux convenu à un chien. Il aura besoin de faire une pause et nous ne tiendrons pas à trois sur ce palier.

Je fus un instant très tentée de l'envoyer se faire voir...mais me retint de justesse lorsque je croisai le regard dissuasif de Nicolas. Même à cette distance et dans la pénombre son avertissement silencieux était clair, me rebeller maintenant ne serait vraiment pas une bonne idée. Je serrai donc les dents et me contentai de la foudroyer du regard. Je voulais bien ronger mon frein pour le moment et faire profil bas devant cette garce mal coiffée, mais il était hors de question que je descende en bas de cet escalier sinistre toute seule. De toute manière que pouvait-elle faire pour m'y forcer...me pousser ? Ça m'étonnerait ! Je restai donc là, plantée devant elle, sentant un sourire mauvais se dessiner sur mon visage.

— Pas question que je bouge d'ici. Passez donc devant et nous nous vous rejoindrons en bas, déclarai-je à Eva de ma voix la plus autoritaire, bien que je n'en menais pas large.

Un éclair de surprise traversa son visage, très vite remplacé par un sourire narquois qui n'augurait rien de bon.

— Tu veux jouer à ça ? me susurra-t-elle d'un air menaçant tout en approchant son visage le plus près possible du mien.

Elle espérait sûrement me faire reculer, mais elle en fût pour ses frais car je ne bougeai pas d'un pouce. Hors de question que je lui fasse ce plaisir. Mais contre toute attente elle commença à avancer pour de bon, me forçant à reculer de plus en plus vers l'extrémité du palier. Je me retrouvai rapidement dos au vide, en équilibre précaire sur le bord de la première marche. Je n'avais plus que deux options, soit capituler et commencer à descendre ce foutu escalier dans le bon sens. Soit résister et voir si elle aurait le courage d'aller jusqu'au bout, au risque de me briser la nuque dans ma chute.

J'étais sur le point d'opter pour la deuxième solution quand une fugace lueur dans son regard m'apprit qu'elle le ferait. Qu'elle n'attendait même que ça, que je craque et fasse ou tente quelque chose de stupide. Ce qui lui permettrait alors de me tuer en toute impunité. Je changeai donc mon fusil d'épaule en quelques secondes et me retournai pour commencer à descendre l'escalier. La peur me tordait l'estomac, bien qu'elle fût un peu atténuée par la rage que je ressentais.

Je commençai donc à descendre, le plus lentement possible. D'une part pour la faire enrager, d'autre part parce que je ne voulais pas être trop loin de Nicolas. Il avait beau m'avoir entraîné dans cet enfer, il était aussi le seul à avoir pris ma défense jusqu'ici, ce qui m'incitait à lui faire confiance. Oui, c'était idiot, mais j'avais besoin de me raccrocher à quelqu'un et il était le seul à ne pas encore avoir essayé de me tuer, alors...au point où j'en étais !

L'escalier faisait un léger coude, si bien que l'on n'en voyait pas le bout, ce qui le rendait interminable, me dis-je tandis que je descendais à une lenteur d'escargot neurasthénique en me demandant, pour la centième fois au moins, ce que je foutais là ! Tout c'était déroulé si vite, que cela passait comme un film flou dans ma tête sur lequel je n'arriverai pas à faire le point. J'étais tellement prise dans mes pensées que je me fis surprendre par la fin abrupte des marches et faillis m'étaler de tous mon long. Bon, au moins j'étais parvenue en bas, c'était déjà ça ! me dis-je en me stabilisant, avant de relever machinalement la tête. Je restai figée de stupeur...ou de terreur... à ce stade, franchement, je ne savais plus très bien.

Un tigre était couché en plein milieu du large couloir qui se déroulait directement au bas des marches. Un gros tigre au pelage orangé rayé de noir, comme on n'en voit qu'au zoo ou dans les documentaires animaliers. Mais celui-ci était bien réel et tout ce qu'il y avait de plus vivant, me fixant de son regard d'or, la langue pendante comme s'il venait de faire un sprint. Mon instant de stupeur passé, mon instinct de conservation prit les commandes et je tournai les talons aussi vite que je le pus et remontai les marches en courant.

Dans ma panique j'avais totalement oublié qu'Eva et Nicolas était en train de descendre l'escalier et faillis percuter cette dernière de plein fouet. Eva, bien que surprise par mon arrivée fracassante, eut quand même le réflexe de me retenir instinctivement par le bras quand, sous l'impulsion de mon arrêt brutal, je fus projetée en arrière. Heureusement qu'elle avait de bons réflexes, sinon je serais allée m'écraser au bas des marches comme mon infortunée logeuse peu de temps auparavant.

Cet horrible rappel de la réalité, eut au moins le mérite de permettre à mon cerveau de reprendre les commandes et je m'immobilisai, une marche en dessous d'Eva, essayant péniblement de reprendre mon souffle. Mon esprit turbinait à mille à l'heure. Que pouvait bien faire un tigre dans le sous-sol de ce manoir ?

Pendant que je me triturais le cerveau, mon regard se porta presque malgré moi sur le bras blessé de la jeune femme. Je croyais pouvoir affirmer, sans trop me tromper, que je venais de trouver le responsable des marques de griffes sur son bras. Mais n'avait-elle pas dit que c'était un certain Pete qui l'avait blessée ? Drôle de nom pour un tigre à moins que...non je délirais...la fatigue et le stress sûrement ! Après tout, les propriétaires avaient peut-être des goûts plus que discutable en matière d'animaux domestiques ? Ou peut-être que le stress m'avait provoqué des hallucinations ?

— Qu'est-ce qui vous arrive ? Il y a un problème en bas ? On dirait que vous avez vu un fantôme, me questionna durement Eva d'une voix narquoise.

— Non, juste un tigre, lui répondis-je d'une voix étranglée.

— Et alors, vous vous attendiez à quoi ? s'exclama-t-elle, vraisemblablement étonnée que cela ait pu me choquer.

— Elle ne sait rien, entendis-je Nicolas lui répondre d'une voix difficile.

Je levai lentement les yeux, pour constater qu'il était assis dans l'escalier, trois ou quatre marches plus haut.

Il devait être là depuis mon arrivée fracassante et je ne l'avais même pas remarqué, c'est dire si j'étais secouée. Un éclair de surprise traversa le regard d'Eva et elle se tourna vers Nicolas pour le dévisager. Je ne suis pas une spécialiste de la communication non-verbale, mais une chose était sûre, il se passait quelque chose entre eux qui me dépassait complètement. Enfin Eva détourna les yeux et se retourna vers moi en secouant la tête, un air à la fois agacé et perplexe inscrit sur son visage.

— Très bien...peu importe. Mais il faut vraiment qu'on bouge, là ! On a déjà perdu trop de temps. S'il y a quelque chose à tenter c'est maintenant, me dit-elle en descendant d'une marche pour m'inciter à en faire autant.

— Au courant de quoi ? Que vous élevez des animaux sauvages dans votre cave ? Vous savez que c'est illégal au moins ? demandai-je en fixant Nicolas par-dessus l'épaule d'Eva.

Il ne put s'empêcher de sourire à ma remarque. Puis au lieu de faire le moindre commentaire, se contenta de me fixer de son regard chocolat, m'invitant de toute évidence à écouter la voix de la raison et à descendre gentiment l'escalier.

— Avancez...vous ne craignez rien, me dit-il d'une voix rassurante, presque caressante, en me fixant si intensément que j'avais l'impression qu'il voulait me transpercer le cerveau.

Et encore une fois je le crûs, viscéralement, comme si c'était une évidence...ça commençait à devenir agaçant. Je n'étais pas du genre confiante ou crédule d'ordinaire. Que ce type, aussi rassurant soit-il, face céder toutes mes barrières aussi facilement, commençait vraiment à me courir. Je lui retournai son regard, avec je l'espérai, la même intensité que le sien, décidée à ne pas céder à ma compulsion de lui faire confiance aveuglément. Ce n'était pas naturel, comme beaucoup des choses s'étant déroulées ces dernières heures d'ailleurs.

— Vous savez que vous pouvez me faire confiance.

— Oui et c'est justement là le problème, lui répondis-je soudain sur la défensive.

Il me lança un regard aussi surpris qu'interrogatif. Mais avant qu'il n'ait eu le temps de plaider sa cause une nouvelle fois, le même cri inhumain à mi-chemin entre rugissement et grognement retentit à nouveau dans toute la cage d'escalier, allant même jusqu'à en faire vibrer les murs.

Ombre FauveOù les histoires vivent. Découvrez maintenant