Requiem Æternam Dona Eis [TERMINÉ]

Chapitre 26 (partie 2)

– De quel genre de remous parlez-vous ? demanda-t-elle.

Elle aurait voulu que sa voix chevrotât un peu moins. Mais la femme n'y fit pas attention, répondant par un geste négligeant de la main.

– Oh, des remous, il y en a de toutes sortes ! La plupart du temps, ils sont en conflit entre eux pour des raisons politiques, ou en froid avec un démon mineur. Mais en ce qui vous concerne, c'est autre chose.

– C'est-à-dire ?

– Smith a commis une erreur monumentale. Les Princes sont furieux contre lui. Je pense pour ma part qu'ils auraient dû s'occuper de lui depuis longtemps, mais cette opinion n'engage que moi.

– Comment ça, s'occuper de lui ? voulut savoir Lilian qui ne comprenait rien. Qu'est-ce qu'il a encore fait ?

La femme redressa ses lunettes sur son nez.

– Je faisais allusion à ce qui vous était arrivé, du moins à vos parents.

Ses mots lui fauchèrent les jambes. Lilian se laissa tomber sur le tabouret le plus proche, incapable de tenir debout. Ainsi donc, cette femme était au courant...

– Vous savez qui je suis ? balbutia-t-elle.

– Oh, je l'ai tout de suite su ! Vous êtes Lilian Hamilton. Nous savons tous ce qui s'est passé, la raison pour laquelle les Princes sont si en colère.

– Mais... je ne comprends pas. Ce n'est pas ce que vous faites, d'habitude ?

– D'habitude ?

– Oui, vous n'aimez pas ça, d'ordinaire ?

La femme rajusta le nœud de son foulard.

– Les Princes tirent sans doute beaucoup de plaisir à tourmenter les vivants, se défendit-elle, mais ils doivent le faire... comment pourrais-le formuler ? Selon les clauses de leur contrat ? Et la raison pour laquelle vos parents sont morts n'en fait pas partie.

Elle s'interrompit devant l'expression choquée de Lilian.

– Je vous ai blessée, je m'en excuse.

– Non... Non, ça ira...

Elle ravala les larmes qui commençaient à lui monter aux yeux et continua vaille que vaille :

– Pourquoi Smith est-il si peu apprécié ? Vous en parlez comme d'un paria.

– Paria, il l'est, assurément ! Je n'ai jamais vu démon à l'orgueil plus démesuré que lui ! Vous comprenez maintenant le plaisir que j'ai eu à me jouer de lui. C'est peut-être pour cette raison que Lilith s'est intéressée à lui. Mais ainsi que vous avez fatalement dû l'apprendre, il n'est pas resté en place très longtemps. Cela a contribué à le rendre encore plus rebelle... Doux euphémisme.

Elle tourna la tête vers Lilian.

– Smith n'était pourtant, au début, qu'un incube parmi des millions. Un jour, il a voulu... Comment dit-on, déjà ? Améliorer l'ordinaire ? Il a donc été trouver les Princes et s'est prosterné devant eux en jurant de les servir. À leur place, je me serais méfiée, mais de toute évidence, ce schweinehund savait parfaitement ce qu'il fallait dire et faire. Il s'est fait allouer des charges mirobolantes. Mais le goût du pouvoir lui est monté à la tête, et tôt ou tard, il apprendra cruellement qui sont les véritables maîtres.

Elle tira un étui de son sac et rechargea son fume-cigarette. Son briquet en nacre avait des reflets irisés.

– Je voudrais bien que votre ami Christel se presse, s'impatienta-t-elle alors. Je n'ai pas que cela à faire !