Chapitre 2

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Une branche craqua doucement sous son pied alors qu'il rajustait son assise. Il jura silencieusement, se figeant soudainement.

Le vent était très faible, faisant doucement bruisser les feuilles des arbres. La lune était à son dernier quartier, le doux halo rasant les pierres tombales, étendant sur le sol des flaques d'ombres aux formes fantasmagoriques. Les stèles, à-moitié en ruine, semblaient menacer de tomber en morceaux à chaque coup de vent. Les mauvaises herbes envahissaient les chemins, abandonnés aux buissons d'épineux.

L'homme était assis sur la branche d'un vieux cèdre, et avait une vue imprenable sur le cimetière. Autour de lui, tout n'était que calme et sérénité. Au loin, la ville resplendissait de ses lumières éternelles, mais n'était pas suffisamment proche pour altérer la quiétude des lieux. De temps en temps, un véhicule semblait s'approcher, mais l'endroit était si peu attractif que toute envie de passage mourait très vite.

Il venait régulièrement ici. Sa position éloignée et non entretenue en faisait un repaire de choix pour certains. Aussi, de temps en temps, il y faisait un tour, afin de faire un peu de ménage.

Cette nuit-là, il y en avait cinq. Dieu sait ce qu'ils mangeaient, mais l'homme était sûr qu'il s'agirait là de leur dernier repas. Les bruits de mastication s'accompagnaient de grognements et de craquement d'os brisés.

Il se leva finalement sans un bruit, et mit la main à l'étui qu'il avait à la ceinture. Il en sortit un vieux livre à la couverture de cuir un peu usée, qu'il manipula avec précaution et ouvrit à une page donnée. À force de toujours procéder de la même façon, il avait fini par connaître le texte par cœur. Mais il préférait avoir l'ouvrage en main, il trouvait qu'il avait beaucoup plus la classe avec.

Le froissement d'une page éveilla l'attention d'un des individus. Il releva la tête, humant l'air avec appréhension. L'homme sourit. Ça y est, ils commençaient à comprendre. C'était parfait.

L'homme se racla alors discrètement la gorge et commença à lire :

Donne-leur le repos éternel, Seigneur, et que la lumière éternelle les illumine.

À ces mots, les cinq acolytes se redressèrent comme un seul homme. Brusquement inquiets, ils regardèrent de toutes parts, cherchant la source de cette voix. L'un d'eux ramassa prestement les restes du dîner, dans le but avoué de prendre la fuite. Mais l'air frissonna soudain au-dessus de leurs têtes, et ils comprirent qu'ils étaient perdus. Une ombre, comme suspendue dans les airs, fondit sur eux, et sa voix claire et puissante résonna dans leurs oreilles.

Dieu, il convient de chanter Tes louanges en Sion ; et de t'offrir des sacrifices à Jérusalem.
Exauce ma prière, toute chair ira à Toi.
Donne-leur le repos éternel, Seigneur, et que la lumière éternelle les illumine.

Les cinq individus n'eurent pas la moindre chance. L'homme était vif, agile et rapide. Aucun coup ne semblait l'atteindre, il était comme animé d'une force qui irradiait autour de lui. Quand ses pieds touchaient le sol, c'était pour mieux rebondir et s'abattre sur les créatures rassemblées là. Une tête tomba, puis une autre.

Seigneur, ayez pitié Christ, ayez pitié Seigneur, ayez pitié.

Le travail fut méthodique et sans faste. Le sol se couvrit de poussière qui se dispersa aux quatre vents. L'un d'eux, mis à terre, eut quand même la force de se lever. Mais il n'eut que le temps de bredouiller un mot :

– Christel... !

Et il retomba au sol.

Que la lumière éternelle luise sur eux, Seigneur, au milieu de Tes Saints et à jamais, car Tu es miséricordieux.
Donne-leur le repos éternel, Seigneur, et que la lumière éternelle les illumine. Au milieu de Tes Saints et à jamais, car Tu es miséricordieux.

L'homme remit pied à terre, dans un silence religieux. Il jeta un très rapide coup d'œil afin de s'assurer que le travail avait été correctement exécuté, puis referma le livre d'un geste sec et se signa.

In nomine Patri e Filii e Spiritus Sancti.
Amen.

Tout était calme aux alentours. Tout juste distinguait-on les aboiements plaintifs d'un lointain canidé. Il y avait si peu de monde dans les parages que cet endroit très prisé de certains était idéal pour la chasse.

« Je vais finir par le connaître aussi bien que toi », fit une voix dans son dos.

Il se retourna. Une silhouette translucide l'observait avec douceur.

Il remit son livre dans son étui, épousseta ses revers et se redressa.

– Sans offense, mais je préfère quand c'est eux qui le connaissent. J'ai toujours aimé cette seconde où ils comprennent à qui ils ont affaire.

La silhouette réprima un sourire.

« Quelle diva ! »

– Allez, avouez que vous trouvez ça cool, aussi.

« Mmh ! Je me contenterai d'affirmer que c'est le résultat qui compte. »

Les épaules du jeune homme s'affaissèrent de déception.

– J'ai l'impression d'entendre le grand con, geignit-il.

« Cesse de faire l'enfant. Il a raison, et tu le sais. »

– « Si quelqu'un pense être quelque chose, quoiqu'il ne soit rien, il s'abuse lui-même. »

« Christel ! »

Requiem Æternam Dona Eis [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant