Chapitre 16 (partie 1)

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Quand Lilian entra dans la boutique de Scarlet, ce fut d'un pas très peu assuré, mais profondément soulagé.

Elle avait fini par dénicher un taxi suffisamment fou et âpre au gain pour la conduire le plus près possible de la Ceinture. Moyennant un conséquent pourboire, il avait consenti à parcourir la moitié de la zone inhabitée, mais avait refusé d'aller plus loin. Elle avait donc dû finir le chemin à pied.

« Tu as peur d'y aller parce que tu ne connais pas l'endroit », avait dit Constantine. Elle aurait voulu, mais après avoir essuyé une dizaine de propositions de consommations de substances illicites et tout autant de pratiques acrobatiques, elle s'était définitivement convaincu qu'elle ne voudrait jamais le connaître.

Les gens l'avaient dévisagée sur son passage, comme une curiosité de la nature. Il était évident qu'ils rencontraient rarement ici des jeunes filles de la Cité. Et avec ses vêtements et son sac hors de prix, l'on pouvait difficilement la prendre pour une habitante du quartier. Les gens s'étaient retournés sur elle, certains l'avaient ignorée, d'autres avaient tenté de l'aborder, il y en avait même eu quelques-uns pour l'insulter. Elle avait de quoi se défendre sur elle, mais elle préférait ne pas avoir à s'en servir. Elle était seule, et savait déjà qu'elle ne serait jamais de taille s'ils se montraient en nombre. Avançant avec hésitation sur les trottoirs craquelés et jonchés de débris, elle avait rasé les murs en haillons rafistolés avec des planches, accusant un brusque sursaut d'adrénaline chaque fois qu'on lui adressait la parole.

Aussi, quand elle aperçut la boutique de Scarlet, ce fut comme une planche de salut. Mais elle marqua très vite un temps d'arrêt en voyant l'imposant bâtiment qu'il flanquait. La façade était barrée de colonnes, le fronton gravé en lettres dont les dorures avaient disparu depuis longtemps, et la pierre salie par les années lui laissait entrevoir le mot « BANK ». Une banque. C'était une banque. Et la boutique annoncée par Constantine était dressée devant l'entrée, entre deux colonnes, telle un avant-poste.

Elle poussa la porte et entra dans une sorte de caverne d'Ali Baba, remplie de matériel multimédia, hi-fi, high-tech datant au moins du siècle dernier. Les rayonnages n'étaient qu'une succession d'étagères croulant sous les vieux appareils hors d'usage qui attendaient là une hypothétique renaissance.

Il n'y avait personne dans la boutique, mais Lilian entendait une musique en sourdine. Elle s'approcha du comptoir, lui-même surchargé d'appareils, serrant son sac contre elle.

– Il y a quelqu'un ? appela-t-elle timidement.

– J'arrive ! fit une voix venue de l'arrière-boutique.

Le volume de la musique diminua, et une femme fit son apparition, essuyant ses mains couvertes d'huile sur un vieux torchon.

– Bonjour, qu'est-ce que je peux faire pour vous ?

– Vous êtes Scarlet ?

La dénommée Scarlet, qui curait ses ongles avec son torchon, leva alors les yeux et reconnut sa cliente.

– Tiens ! Mais vous êtes la copine de Smith !

Lilian eut un sourire crispé. La copine. Elle ne savait plus trop ce qu'il en était réellement, aujourd'hui.

– Oui, je suis sa... copine. Enfin, je crois... J'en sais rien, je ne sais plus trop.

Scarlet l'observa avec attention.

– Quelque chose ne va pas ? devina-t-elle.

Lilian s'approcha alors du comptoir.

Requiem Æternam Dona Eis [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant