Christel la regarda en silence assimiler les différents éléments de sa vie. Les lèvres pincées, il ne pouvait s'empêcher de penser à quel point son parcours et celui du Doyen étaient similaires, finalement. Ils avaient tous deux été des hommes d'Église, ils n'avaient rien demandé, et ils étaient morts juste parce que des maudits passaient par là et avaient envie de s'amuser. Il frissonna en repensant à la foi perdue du Doyen, qui lui rappelait cruellement la sienne, et essaya de ne pas imaginer ce que sa propre renaissance avait été. Crucifié, aveugle, seul et terrifié, très certainement le seul à s'être réveillé, comment s'était-il dépêtré de ses instruments de supplice ? Quelqu'un lui était-il seulement venu en aide ?
Il secoua la tête, chassant cette pensée, puis rajusta son assise.
– La seule chose qui m'a fait tenir, dans l'histoire, en fait, poursuivit-il alors, c'était l'idée qu'il y avait un responsable.
– L'homme aux cheveux blonds et aux yeux bleus ? devina Lilian.
– Depuis ce jour, il ne s'est pas passé une seconde sans que je n'y repense. Pourtant, je ne savais même pas qui était ce type. Ça pouvait tout aussi bien être un passant lambda qui avait été attiré par le bruit. Mais, tu as dû t'en rendre compte, les morts développent un flair spécifique, ce qui fait que quand on croise un maudit, on sait tout de suite que c'est un maudit. Et je peux te jurer que ce type puait le maudit à plein nez.
– Il pouvait simplement être un sous-fifre venu se rendre compte de ce qui se passait, proposa Lilian. Rien, sur l'instant, ne garantissait qu'il était responsable de quoi que ce soit.
– C'est vrai, concéda Christel. Mais responsable ou pas, c'était la seule piste que j'avais. Si ça se trouve, il pouvait me conduire au vrai coupable.
Pourtant, ça n'avait pas été une mince affaire. L'échec de son exorcisme avait été tellement retentissant qu'il s'était retiré de la chasse. La seule chose qu'il se souvenait avoir faite était l'enterrement d'Éléonore. Elle avait eu beau devenir démon, il avait eu beau l'avoir néantisée, il ne pouvait se résoudre en plus à l'abandonner. Il était donc retourné, quelques heures après son retour au repaire, récupérer ses restes qu'il avait tant bien que mal enterrés, sous la pluie, dans un cimetière proche. La terre était boueuse, la pelle lui glissait des doigts, et la pluie martelait son dos nu et douloureux. C'était après avoir fini de creuser la fosse qu'il s'était rendu compte qu'il allait avoir des difficultés à en sortir. Alors qu'il s'escrimait sur les parois qui se dérobaient sous ses doigts, une main s'était tendue vers lui, l'extirpant du bourbier. C'était le Doyen, qui avait compris son plan et qui venait l'aider dans sa tâche. Ils avaient ensemble placé les os dans la fosse et le Doyen l'avait recouverte de terre, avant de prier sur la tombe, demandant à l'âme en peine de reposer en paix. Après quoi, il l'avait ramené à l'abri, lui promettant de lui fournir tous les moyens nécessaires pour lui permettre de la venger, s'il acceptait de rejoindre définitivement leur clan et de participer activement à leur combat. C'était la condition sine qua non pour lui transmettre toutes les connaissances dont il aurait besoin dans cette quête. Il avait mis des années à se décider, préférant rester au repaire à faire de la logistique. Mais il avait fini par accepter. Le Doyen l'avait formé et, après des années d'entraînement acharné, lui avait solennellement offert son nouveau missel comme preuve de son aguerrissement.
– Suite à ça, je pouvais enfin me lancer dans une vraie recherche. Maintenant que je faisais vraiment partie du groupe, j'avais accès à toutes les informations que je voulais. J'étais obligé d'assister aux raids organisés la nuit, mais le jour, j'allais d'indic en indic afin de retrouver la trace de ce démon blond que j'avais entraperçu. Et un jour, j'ai enfin eu une piste sérieuse : l'Amérique. C'était en 1610. Ça tombait plutôt bien, d'ailleurs.

VOUS LISEZ
Requiem Æternam Dona Eis [TERMINÉ]
ParanormalLondres, 1215. Voulant vivre leur amour loin des interdits, un moine et une jeune fille ne verront rien du bonheur qu'ils s'étaient pourtant promis de trouver. Fuyant leur abbaye, c'est la mort qui leur ouvrira les bras, sous la pire forme qu'ils po...