Chapitre 42

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Quiconque se serait aventuré dans les couloirs du repaire, ce soir-là, aurait bien été en peine d'y trouver la moindre âme. Hormis la dame grise qui resta dans sa bibliothèque, gémissant le long des travées, tous les chasseurs sans exception étaient sortis. Une longue procession avait amené la dépouille du Doyen et celles de leurs frères et sœurs d'armes hors de la ville, afin de leur rendre un dernier hommage.

De nombreux passants les regardèrent avec surprise, en se demandant ce qui se passait, mais aucun ne se risqua à leur emboîter le pas. La file ininterrompue d'hommes et de femmes ne leur prêta pas la moindre attention, silencieuse et recueillie. Des groupes de quatre personnes se suivaient, portant chacun un cercueil, entourés du reste du clan. Ils avancèrent dans les rues, marchant dignement, Christel et les dignitaires à leur tête.

S'éloignant dans la campagne, ils arrivèrent bientôt à destination, et les chasseurs partis en avant pour tout préparer vinrent à leur rencontre. Christel leva les yeux sur le grand bûcher qu'ils avaient construit et qui allait bientôt accueillir les siens, et il ne put réprimer un féroce pincement au cœur.

Tout se mit en place assez rapidement. Le bûcher était composé de niches individuelles, dans chacune desquelles fut déposé un cercueil. Des échelles étaient dressées pour permettre aux chasseurs de les installer proprement. Celui du Doyen fut hissé et déposé sur le sommet. Enfin, des bottes de petit bois furent répartis dans les recoins.

Le silence était total, uniquement brisé par le craquement intempestif d'un bout de bois et des pas des chasseurs qui s'activaient autour du bûcher.

Les dignitaires religieux se tenaient en avant. Les offices avaient déjà été célébrés, mais ils cernaient le bûcher, accompagnant leurs fidèles jusqu'au bout. Quelques-uns prononçaient une dernière prière, psalmodiant silencieusement.

Enfin, Christel échangea un regard avec eux, et d'un commun accord, décidèrent qu'il était temps.

Christel saisit la torche qui lui fut tendue, et l'enflamma. Puis, faisant le tour, il mit le feu au bûcher.

Le feu prit rapidement, montant progressivement, et une langue embrasée dansa bientôt vers le ciel.

Des sanglots montèrent alors, entrecoupés de hoquets et de gémissements. Le feu rugit, emportant avec lui leurs frères et sœurs disparus.

Bientôt, sortie de la nuit qui tombait, on vit s'approcher l'ombre d'un maudit, puis une autre, puis encore d'autres. L'atmosphère se tendit brusquement, certains chasseurs portèrent même leurs mains à leurs armes, mais les maudits se contentèrent d'avancer et de se mêler à eux, sans hostilité aucune.

Christel n'avait jamais compris d'où c'était venu, mais aussi loin qu'il s'en souvienne, les maudits n'avaient jamais attaqué leurs funérailles. Aussi étrange cela pût-il être, ils semblaient s'être arrogé cette règle inattendue, mais néanmoins tacite. En ces instants de deuil, c'était la trêve, et personne ne brisait la trêve.

Une fois seulement, un maudit avait voulu ignorer la règle. Il avait été très surpris de voir ses propres semblables se jeter sur lui pour l'en empêcher.

Christel regarda les maudits rapidement former un cercle autour d'eux. Ils étaient debout, immobiles et silencieux, apportant par leur présence un moindre réconfort. En dépit de leur rivalité naturelle, le Doyen avait toujours joui d'un statut à part, pour un camp comme pour l'autre. Christel ne se faisait pourtant pas d'illusion, il savait que certains ne venaient que pour se repaître du spectacle de sa crémation. Mais aucun ne bougeait, respectueux, et à ce respect, il fut immensément sensible.

Le bûcher craqua, une partie s'effondrant sur elle-même, ensevelissant les cercueils qu'elle portait, et le bruit résonna douloureusement. Après, quand le feu aurait fini de faire son œuvre, ils récupéreraient ce qu'il en restait, le broieraient, et en disperseraient les cendres. Puis leurs noms seraient ajoutés aux autres sur les murs du repaire, gravés dans le marbre.

Christel se tourna vers ses frères et sœurs, avisant leurs mines affligées. James avait passé un bras réconfortant autour des épaules de Lulu. Lilian se tenait à côté d'eux, la tête baissée. Misa se tenait dignement, même si la tension de ses traits trahissait son émotion. Scarlet pleurait ouvertement, les joues creusées par ses larmes. Tout autour, les autres chasseurs, hommes, femmes, jeunes, âgés, de tous les horizons, de toutes les origines, tous étaient unis dans la douleur, leur chagrin comme une voix unique, qui montait.

Le bûcher craqua à nouveau, une nouvelle partie s'effondrant, et le feu enfla sous le souffle, éclairant la campagne déserte. Seule la Cité brillait au loin, presque incongrue, une tâche ignorante dans le paysage.

Requiem Æternam Dona Eis [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant