Florence était considérée comme un modèle de réussite professionnelle et sociale.
Elle habitait à Paris, au dernier étage d'un immeuble du prestigieux XVIe arrondissement, cents mètres carrés et plus avec terrasse et vue sur la Tour Eiffel.
Diplômée de la Haute École de Commerce, ou plus simplement HEC, elle était devenue Product Manager chez L'Oréal.
En 2005, elle s'était mariée avec Mathieu Binachon, un haut dirigeant chez Total, un X, un diplômé de l'École Polytechnique, l'élite des ingénieurs, rien de plus prestigieux et sélectif dans le Panthéon de la mythologie française
Ceux qui sortaient de ces écoles – les Grandes Écoles – pouvaient viser des postes à haute responsabilité auprès des plus prestigieuses sociétés françaises. Pour accéder à ces écoles, en revanche, il fallait être parmi les meilleurs élèves et passer des concours de sélection très difficiles.
Les Grandes Écoles furent créées au XVIIIe siècle avec le but de donner une opportunité d'accès à toute la population aux postes à haute responsabilité, sans distinction de classe sociale, à condition d'avoir des résultats brillants à l'école.
Le système marcha, au début, et permit aux classes populaires de s'élever, après il devint de plus en plus pervers et garantissant l'accès plutôt aux couches moyennes-hautes qui pouvaient assurer à leurs enfants une meilleure éducation dès les premières années.
Créées donc dans l'esprit de donner une chance à toute la population, les Grandes Écoles étaient devenues deux siècles après un instrument dans les mains de la bourgeoisie : la France s'était débarrassée d'une aristocratie pour en créer une autre.
Ma rencontre avec Florence, je la dois en quelque sorte à une certaine Geneviève.
Florence et Geneviève se connurent au campus, elles étaient dans le même promo.
Florence fut toujours attirée par la personnalité de Geneviève, dès la première fois qu'elle la vit, alors qu'elle entrait dans la classe.
Geneviève détestait les schémas, disait ce qu'elle pensait, avait toujours un petit copain, parfois deux.
Geneviève avait des cheveux roux et frisés, une masse de boucles qui entourait un visage de Vénus botticellienne et des yeux noirs, comme des olives, don de sa mère, une top modèle d'origine libanaise qui avait épousé un riche homme d'affaires français.
Son allure était une harmonie d'oscillations de seins et de hanches ; quand elle passait le temps semblait ralentir.
Florence alternait entre l'admiration et la haine pour Geneviève. Elle l'admirait car elle représentait son idéal de femme post-soixante-huitarde, libérée, sans tabou, propriétaire de son destin, mais elle finissait toujours par la détester, quand elle se rendait compte que Geneviève était un point toujours à l'horizon.
Florence s'habillait comme voulait sa mère, non, je me corrige, Florence s'habillait comme sa mère.
Florence ne fumait pas et ne disait pas de gros mots, n'osait pas donner son opinion, elle rougissait et baissait le regard si un groupe de garçons lui faisait un compliment.
Les prétendants de Florence n'avaient aucune allure ou étaient pleins de boutons ou étaient mal coiffés ou s'habillaient avec ce qui leur tombait sous la main, ou étaient, tout simplement, une combinaison de tous ces éléments : dans une échelle de l'érotisme, ils représentaient le zéro absolu, disait-elle souvent.
Les prétendants de Geneviève, non, eux, ils étaient les plus beaux du campus, avec des têtes de pop stars, de rock stars, de movie stars, ils avaient des muscles, de l'allure, du style et imposaient leur style, tout ce qu'ils portaient faisait tendance.
Pourtant Florence avait des traits délicats, des yeux d'un vert très clair, entourés d'une chevelure ondulée noire et un corps très bien proportionné.
L'amitié entre Florence et Geneviève naquit par pur intérêt. Florence passait ses devoirs à Geneviève, et Geneviève l'invitait aux fêtes organisées par les stars.
Dans la tête de Florence, ces fêtes commençaient au moins un mois à l'avance. Pendant ce temps-là, elle pensait à comment s'habiller, mais surtout à quoi dire et quoi faire au cas où une de ses idoles s'intéresserait à elle.
Les fêtes des stars étaient bourrées de filles. Elles étaient toutes parfaites dans le moindre détail. Geneviève finissait toujours par être la star de la soirée, pas parce qu'elle était la plus belle, choisir la plus belle aurait été impossible, mais parce qu'elle rayonnait de charme, plus que les autres, les hommes faisaient tout pour attirer son attention, jusqu'à se rendre ridicules.
Entretemps, Florence passait la soirée assise sur une chaise ou sur un coin de canapé, cherchant à ignorer le couple à côté d'elle qui s'embrassait avec vigueur, finissant par parler avec quelqu'un qui ne l'intéressait pas, juste pour ne pas se sentir transparente.
Geneviève quittait toujours la soirée vers deux heures, accompagnée par sa conquête.
Florence partait un quart d'heure après, en taxi, en retenant à peine ses larmes, pour les laisser aller, enfin, sur le lit de sa chambre au campus.
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L'hôte
Fiksi IlmiahGiuliano vit à Paris. Un jour, il se réveille en 1936. Comment est-ce possible ? Comment revenir en arrière ? Si Giuliano change le cours de l'Histoire, que se passera-t-il dans son présent ? Une succession d'événements dans l'espace et dans le te...