Buenos Aires, 13 juin 1937
Soirée de la démo inaugurale à la Carillon.
La nuit précédente je n'ai pas fermé d'œil, imaginant, je ne sais pas combien de fois, le résultat de la démo, ça va pas marcher, on est trop en avance.
Le public se tait, nous entrons sur la piste, le bruit de nos talons sur le parquet résonne dans un silence assourdissant. Je sens les regards sur la peau, des regards partagés entre curiosité et scepticisme.
Avec ma main gauche je lui prends la main droite, avec mon bras droit je l'enveloppe, elle pose délicatement sa main sur mon épaule, nous nous regardons.
Les premières notes de Me voy a baraja s'envolent et tout comme nos corps. Le monde s'évanouit, nous nous retrouvons seuls, dans le pur instant, comme parmi les sacs de farine dans la boulangerie d'Olga.
C'est un dialogue entre nous et les notes. Ses muscles répondent aux miens, nous respirons en phase, nos jambes s'effleurent, le mouvement ralentit, puis accélère, nous vibrons comme deux instruments musicaux, nous sommes une partie intégrante de l'orchestre.
Nous finissons la démo.
Le public se tait.
Nous entendons uniquement notre respiration, le scénario que j'avais tant redouté, le rejet, est en train de se réaliser.
Des applaudissements, timides et isolés, font leur apparition, puis, comme une verrière qui vole en éclats, les applaudissements de tout le public arrivent, suivis par un rugissement libératoire.
Nous sommes ainsi investis par une onde de choc de pur enthousiasme.
Les applaudissements ne s'arrêtent pas. Le public se calme seulement quand je prends la parole et j'annonce, bégayant un peu d'émotion, que nous avons au programme deux autres danses.
Nous dansons une valse, El vals de los recuerdos, et une milonga, Ella es asi.
Le Sultan s'approche avec un bouquet de roses blanches pour Anabella et une bouteille de champagne pour moi – quelle classe !
Il promet au public que nous reviendrons le samedi d'après. Les applaudissements éclatent.
Nous quittons la piste, le public nous ouvre un passage. Nous sortons de la milonga et nous laissons exploser toute notre joie, nous serrant dans les bras, nous embrassant, je la soulève par la taille et la fais tourner comme un manège. Elle rit.
Puis elle s'arrête, ses jambes ne la soutiennent plus, elle tombe à genou, se couvre le visage, éclate en sanglots.
Je m'agenouille à côté d'elle, l'enveloppant avec un bras.
« Giuliano, je n'ai jamais éprouvé une chose pareille... c'est tout simplement très beau. »
Je voudrais sécher ses larmes mais ce sont mes yeux maintenant qui s'embuent. Je la serre fort dans mes bras.
« Giuliano, Anabella ! Vous faites quoi là, dehors ? Ça fait un moment que je vous cherche ! Venez trinquer ! » Ernesto, le serveur, nous appelle, depuis l'entrée de la milonga.
Nous trinquons avec le Sultan.
« Attendez, Ernesto, où allez-vous ? » lui demande le Sultan.
« Servir... je dois apporter à une table une bouteille de ... »
« Laissez tomber, le client peut attendre quelques minutes, restez avec nous, trinquez vous aussi, c'est aussi votre mérite si, aujourd'hui, Anabella et Giuliano ont fait cette démonstration à la Carillon ! »
Il nous annonce que des journalistes, des plus importants journaux argentins, viendront à la Carillon le samedi d'après, faites-moi confiance ils viendront.
La barre est mise très haute.
Sous la table Anabella me serre la main, voire me la broie.
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L'hôte
Science FictionGiuliano vit à Paris. Un jour, il se réveille en 1936. Comment est-ce possible ? Comment revenir en arrière ? Si Giuliano change le cours de l'Histoire, que se passera-t-il dans son présent ? Une succession d'événements dans l'espace et dans le te...