15 - When the levee breaks

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Paris, 12 juillet, 2008.

Geneviève avait acheté récemment une Maserati cabriolet, gris-perle métallisé.

C'était une soirée de fin juillet, chaude, pas même un nuage dans le ciel, l'idéal pour emmener se balader ce félin de métal.

Geneviève était en plein style années soixante-dix. Des boucles jusqu'aux épaules, un pantalon rouge foncé à pattes d'eph, un t-shirt violet clair à manches longues avec de la dentelle sur les poignets, un décolleté profond, un collier en corail et des sandales plates. On ne pouvait pas faire plus années soixante-dix.

Elle se gara mal, comme toujours, la moitié avant de la voiture sur le trottoir, elle sortit de sa voiture, laissant la porte ouverte, sortit son iPhonedernier cri, cela va sans direpour appeler Florence et lui dire de descendre.

Elle n'arriva pas à composer le numéro de téléphone, elle sentit à la périphérie de son champ visuel une silhouette qui l'observait, elle s'arrêta ; sa mâchoire s'affaissa imperceptiblement, quand elle reconnut que la personne qu'elle avait en face d'elle c'était Florence.

Elle portait des sandales à talons d'une dizaine de centimètres, des jeans très moulants qui lui mettaient en évidence ses hanches, un t-shirt avec un décolleté en V bien profond et un blouson en cuir court. Ses cheveux, détachés et brillants lui tombaient avec fluidité sur les épaules et le maquillage, sans une once de vulgarité, mettait en valeur ses lèvres et ses yeux vert émeraude.

Geneviève l'observa, amusée, mais son sourire se crispa quand elle croisa le regard de Florence : ses yeux avaient de la force, une présence. Elle l'observa de la tête aux pieds.

"Florence, putain, t'es canon, tu ne devais pas bosser chez L'Oréal, tu devrais bosser pour L'Oréal, on dirait un mannequin ! »

Elles montèrent dans la voiture, Geneviève choisit dans le lecteur When the levee breaks – Led Zeppelin, tourna la clef, et les centaines de chevaux du moteur se déclenchèrent.

Elles roulèrent en direction du Marais, où elles se garèrent.

« Tu te rends compte ? On a trouvé une place rue des Archives ! Si c'est pas du bol ça, ma petite !" commenta Geneviève.

Florence commanda un Martini rouge, Geneviève un mojito.

Elles parlèrent quelque temps du travail, de leurs maris, de leurs absences ; la conversation n'était pas exactement amicale, mais pas formelle non plus. Elle prit ensuite une toute autre allure quand Geneviève dit :

« Je te vois en grande forme, Florence ! Même si ça fait bizarre ton accent ! Mais ils ont dit quoi les médecins ? »

« Les médecins disent que tout reviendra comme avant, c'est une question de temps. Mais laisse-moi comprendre, il a quoi de bizarre cet accent ? »

« Je ne sais pas... si quelqu'un venait avec un accent pareil... voilà moi je ne lui louerais pas mon appart sur les Champs ! »

Elle éclata de rire, mais Florence ne rit pas vraiment.

« Je n'ai pas compris, explique-toi mieux », elle dit, pendant que doucement, sous la table elle enfilait une main dans une poche de son jeans pour vérifier s'il y avait le billet de vingt qu'elle pensait avoir pris avec elle, elle le sentit immédiatement et se sentit rassurée, elle savait comment cette soirée risquait de se terminer.

Geneviève se bloqua, la regarda avec un sourire de compassion comme si elle parlait à une fillette de cinq ans ou à une retardée.

« Allez Florence, tu crois pas que moi je prenne le risque de louer à une famille de maghrébins, de sénégalais, d'indiens ou de je ne sais plus quel autre pays du haut moyen-âge ? »

« Mais toi, t'étais pas de gauche autre fois ? »

Geneviève éclata de rire.

« La gauche ! C'est une chose pour les étudiants du campus, quand t'as pas vu encore la vraie vie et tu peux te permettre le luxe de croire à toutes ces fables farcies de mélo. »

Elle but une gorgée de son mojito et continua :

« Ouvre les yeux, ces gens ne sont pas comme nous, t'as pas idée de comment ils vont te détruire ton appart ! Et s'ils ne payent plus le loyer ? T'imagine même pas le bordel pour les foutre dehors. »

"Mais si ton appart est sur les Champs-Elysées, j'imagine que c'est pas quelqu'un des classes populaires qui veut le louer. »

« Ah, de ça tu peux en être sûre, ma chère ! », répondit avec une agressivité mal dissimulée.

« Mais écoute, s'il se présente quelqu'un qui gagne bien sa vie et qui peut payer le loyer de ton appart, pourquoi tu ne le voudrais pas comme locataire ? »

« Mais pourquoi t'y tiens tellement que je loue à ces gens ? »

« Parce que c'est à cause de tous les gens qui raisonnent comme ça que les immigrés se retrouvent parqués dans ces barres immondes de la banlieue ! »

« Oh là là, quelle façon franche de parler Florence, je te reconnais plus, le coma t'a drôlement changée, franchement je vais me faire un beau coma moi aussi un de ces quatre ! Ecoute-moi bien, ces gens-là pour moi ne seront jamais français à cent pour cent, ils seront français au niveau des papiers, ils auront même le droit de voter, mais pour moi ils resteront toujours étrangers ! Ce sont étrangers leurs coutumes, leurs langues, leurs religions et, disons-le, leurs gueules aussi ! Mais regarde-toi autour, Florence, on est en train de devenir un pays de mulâtres, des bâtards sans race, comme tous ces pays de mes couilles d'Amérique Latine. La France aux Français, et qu'ils aillent se faire foutre en location dans leurs barres de merde, comme ça on verra plus leurs gueules ! Et si ça leur va pas bien, qu'ils se gênent pas à rentrer chez eux ! »

Les gens des tables autour s'arrêtèrent de discuter, leurs yeux pointaient sur elles.

Ce fut à ce moment précis que Florence se leva, mis une main sur la table, la regarda droit dans les yeux pointant le visage de Geneviève de son index, comme avec un revolver :

« Ecoute-moi bien, pov' conne, je ne veux plus qu'une merde humaine comme toi me rôde autour, c'est toi l'étrangère, étrangère à toutes mes valeurs. »

Elle sortit le billet de vingt de sa poche, le jeta sur la table et s'en alla.

L'hôteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant