31 - La soirée a la Bruja

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C'est l'occasion que j'attends depuis d'un mois. Les dimanches, je faisais le tour des marchés aux puces, à la recherche de vêtements, en pensant que je les aurais utilisés, tôt ou tard, pour aller danser.

J'avais acheté d'occasion une belle chemise blanche, je l'avais prise avec des poignets mousquetaires. Je trouvai des boutons de manchette en argent, ronds avec un disque de nacre au centre, je dépensai une bonne partie de mon petit pécule, mais cela en valait le coup. J'achetai aussi une cravate, bordeaux, un costume noir et je trouvai aussi un pair de chaussures de tango, bicolores, noires et blanches.

En achetant d'occasion, petit à petit, j'arrivai à me faire une petite garde-robe, les occasions ne manquaient pas, des vêtements qui semblaient neufs étaient vendus pour quelques sous, il fallait juste chercher beaucoup ; je parvins aussi à rendre à Julio et Flavio tout ce qu'ils m'avaient prêté.

Je pars à la maison, je mange un sandwich et je m'habille avec la chemise blanche avec les boutons de manchette, la cravate bordeaux et le costume.

Me voir ainsi habillé pour aller danser me fait oublier, pour la première fois, que je me trouve de l'autre côté du monde – et à des décennies de distance ! – je me sens à nouveau tout excité, comme quand je me préparais pour aller au Latina ; petit à petit, je suis en train de m'approprier une nouvelle vie.

J'entre à la Bruja, l'air est imprégné de fumée, je n'y suis plus habitué, à Paris, depuis des années, on ne fume plus dans les lieux publics.

Aucune table n'est disponible, je n'avais même pas espéré en trouver une, à vrai dire, je cherche immédiatement le bar.

Je commande un verre de vin blanc.

Un orchestre est en train de jouer un célèbre tango de Donato, La Tablada.

Je regarde la salle pour chercher Anabella, mais sans succès, la salle est immense, une centaine de personne sur la piste et encore davantage assises aux petites tables qui entourent la piste. Tout le monde est très élégant, hommes et femmes, ils ont de l'allure, des manières d'être tout en discrétion, c'est évident qu'il ne s'agit d'une milonga populaire.

Je décide de siroter mon blanc et de profiter de ce très bon orchestre.

Je m'arrête comme pétrifié.

Mais je suis en 1937 ! Mais quel idiot, c'est pas n'importe quel orchestre qui joue la Tablada, celui-là c'est l'orchestre de Donato et celui qui dirige c'est Donato ! Donato en personne !

Donato est là, en chair et en os, devant moi, j'ai l'impression de rêver. Je fais le tour de la piste, sans quitter Donato des yeux, en essayant d'esquiver les gens au même temps.

« Attention ! »

Anabella ! Elle est là, devant moi, toute souriante et encore plus belle, dans sa robe de soie noir, les cheveux lâchés lui couvrent les épaules.

« Italien ! Fais gaffe où tu vas avec ce verre à la main ! »

Il y a de la vivacité dans son regard et dans sa voix, elle doit être contente de me voir, ou, du moins, c'est ce que je pense.

« Où tu vas si vite ? »

C'est vrai, j'allais où ?

Il y a une femme avec elle, plus âgée, elle me la présente, Olga, elle est venue à la milonga avec elle.

Je reste immobile, mon verre à la main, à chercher quelque chose à dire :

« Tu veux danser ? »

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