Buenos Aires, 10 février 1941
Il s'est passé quelques jours depuis que je suis sorti de l'hôpital, les médecins ont dit que la mémoire reviendrait un jour.
J'ai une trentaine d'années, j'ai gagné quelques années dans l'échange.
Je suis toujours brun et grand, j'ai tous mes cheveux, ils sont courts, ils pousseront, les yeux sont toujours châtains.
Que des petits détails, je suis à Buenos Aires, en 1941, c'est cela qui compte le plus.
Je ne serai jamais assez reconnaissant aux Almanautas de mon époque, ils ont été grandioses, le Revolver a marché à la perfection, je suis arrivé à Buenos Aires en 1941.
Fresco est au pouvoir maintenant, je suis dans l'univers que j'ai quitté !
Je suis fils unique dans cette vie, ces parents croient que leur fils s'est réveillé du coma, je le leur laisserai croire pour toujours, je ne peux pas leur dire la vérité.
Toutes les choses que je ne me rappelle pas ou que je fais différemment de leur fils, pour eux elles, sont juste une conséquence temporaire du coma.
A la radio, depuis des jours, on parle que d'une chose : l'Argentine va très probablement entrer en guerre, et très probablement du côté de l'Axe, ça semble être juste une question de jours.
Hier, j'ai vu Anabella au Café Vito, même si je l'ai vue de loin, j'en suis sûr, c'est elle – elle a dû revenir au travail pour garder la tête occupée. Je ne pouvais rien faire, j'étais avec mes parents, je veux la rencontrer tout seul.
Aujourd'hui le soleil brille, le ciel est limpide, c'est la journée parfaite de mis-été. J'ai trouvé dans mon armoire une chemise blanche, un costume noir et une cravate bordeaux.
J'ai dit à mes parents que je veux faire une promenade, tout seul, pour m'assoir à une terrasse d'un beau café, je les ai vu heureux, ils disent que je m'habillais très rarement de façon si élégante, le coma t'a fait du bien, dit mon père en rigolant.
Je m'assieds à une des petites tables dehors.
Les clients sont rentrés dans le bar dès qu'ils ont entendus la voix de Fresco à la radio, laissant leurs tasses sur les petites tables, quelqu'un en a renversée une, qui forme maintenant un filet qui dégouline jusqu'au sol.
Je suis le seul client resté dehors, les choses ne pouvaient pas mieux se dérouler.
Le volume de la radio est très fort – je l'entends depuis ma petite table – Fresco donne un discours à la nation, sa voix est un mélange de détermination et de colère, elle me rappelle beaucoup celle de Mussolini.
Je vois Anabella sortir du bar, mon cœur accélère, la respiration se bloque, elle a un plateau en main, fait le tour des petites tables pour ramasser les tasses, un tablier lui couvre le ventre, il n'est pas possible de voir si elle est enceinte, j'espère que tout s'est bien passé et qu'elle n'a pas perdu le bébé.
Elle est mince et son visage est triste.
Elle m'a vu, elle vient vers moi, souriant à peine, ce qu'il faut. Elle a un moment d'hésitation quand elle me voit – je l'ai fait exprès, je me suis habillé comme la première fois que nous avons dansé ensemble, à la Bruja.
Mon cœur maintenant bat si fort qu'il me semble que tout le monde l'entend.
« Bonjour, que désirez-vous ? »
Je n'arrive pas à la quitter des yeux.
Les tasses de café tremblent, presque imperceptiblement, sur son plateau.
Je voudrais parler mais ma voix ne sort pas.
« Je vous connais ? » elle me demande, me regardant avec attention. Maintenant les tasses tremblent de manière bien perceptible.
« Je suis Giuliano, Anabella. »
Elle ouvre sa bouche avec stupeur :
« Comment osez-vous rigoler sur une chose... »
« La maison de Jerry... j'ai lu la lettre, Anabella. »
Le plateau lui tombe des mains, j'ai peur qu'elle s'évanouisse, je fais un bond de la chaise pour la prendre dans mes bras.
Nous nous regardons dans les yeux.
Le temps s'arrête.
« J'étais sûr que t'allais revenir, que d'une manière ou d'une autre tu y serais arrivé, j'en étais sûre ! Jure-moi que tu ne me quitteras plus ! » Elle me caresse, me regarde dans les yeux, comme si elle voulait regarder mon âme derrière cette enveloppe extérieure qui ne lui est pas familière.
« Anabella, je ne te quitterai plus, nous deux, ensemble pour toujours. »
« Nous trois, tu veux dire ! » se touchant le ventre.
J'ai l'impression de devenir fou de bonheur.
Nous nous embrassons.
Nous nous asseyons à la petite table, nous serrant par les mains et nous regardant dans les yeux. Nous restons ainsi pendant un temps indéfinis.
« La guerre est en train d'arriver, on va se barrer, au plus vite ! »
« Giuliano... on va se barrer... mais on va aller où ? »
« Hors de Buenos Aires, Ignacio nous cachera. Quand la guerre sera finie, on reviendra, on donnera des démos et on enseignera le tango ! »
Un rugissement d'euphorie sort du Café Vito : Fresco vient d'annoncer l'entrée en guerre de l'Argentine.
Du côté de l'Italie et de l'Allemagne.
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L'hôte
Science FictionGiuliano vit à Paris. Un jour, il se réveille en 1936. Comment est-ce possible ? Comment revenir en arrière ? Si Giuliano change le cours de l'Histoire, que se passera-t-il dans son présent ? Une succession d'événements dans l'espace et dans le te...