12 - Villa Hélène

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Buenos Aires, 20 avril, 1936

À 10h58 une voiture s'arrête devant une villa, Villa Hélène, une des plus belles du quartier Palermo : blanche avec des persiennes blanches, bâtie au début du siècle, sur le modèle des villas françaises de la haute bourgeoisie.

A 11h pile, Lev Sergeyevich Simenov sort par la porte arrière. Quatre-vingt ans environ, barbe blanche courte et bien soignée, manteau gris, écharpe blanche, un chapeau assorti au manteau et une canne au pommeau argenté.

Le portail de la villa est fermé, mais une petite porte a été laissée entre-ouverte, exprès pour lui.

Droit, torse bombé, il parcourt le petit sentier qui conduit à l'entrée avec une allure royale, la canne inutile, il la porte tout simplement pour une question d'élégance.

Le chauffeur éteint le moteur et ouvre un journal.

« Pile à l'heure, comme toujours, Monsieur Simenov », dit en russe Sergei, le majordome.

« Bonjour Sergei », lui répond Lev en russe.

Sergei prend le manteau et le chapeau et l'invite à entrer. Les meubles, les bibelots, les tableaux, les tapis, et n'importe quel autre détail qui peuvent évoquer la Russie, avaient été fait venir de Saint-Pétersbourg : entrer dans cette villa, c'était comme remettre un pied en Russie.

Lev s'assoit dans la salle d'attente, gardant la canne avec lui, il ne s'en sépare jamais.

« Champagne, comme toujours, Monsieur Simenov ? »

« Oui, merci, Sergei. »

Quelques minutes après, Sergei arrive avec un plateau d'argent et une flûte à champagne.

Lev regarde devant lui une vieille carte de Saint Pétersbourg, il n'y est plus allé depuis que les événements de 1917 l'obligèrent à fuir ; rester en Russie après la révolution était devenu trop risqué.

Les souvenirs remontent, les yeux se mouillent à chaque fois qu'il regarde cette carte.

Sergei revient, ses pas détournent son attention :

« Madame Hélène est prête pour vous recevoir. »

Elle est assise sur un lit, une couverture lui couvre les jambes, ses cheveux blancs forment un chignon, elle est hors d'haleine, comme quelqu'un qui aurait monté un escalier deux marches à la fois.

« Salut Lev, entre, je t'en prie, assieds-toi. »

« Comment vas-tu Hélène ?"

"Bien, mais fatiguée. Le Don est un don, mais aussi une malédiction, tu le sais."

Elle s'arrête pour tousser.

"A chaque fois j'ai l'impression de perdre un an de vie." Elle tousse encore.

Elle boit une gorgée d'eau d'un verre posé sur un chevet.

« Il va arriver. »

« T'en es sûre ? »

"Très sûre."

"Il arrive quand ? Où ?"

Elle est en haleine, attend quelque seconde, puis elle reprend :

« Dans un mois environ, ici, à Buenos Aires. »





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