Buenos Aires, 6 juin 1937.
Nous sommes à une semaine du 13 juin, le soir de notre première exhibition, nous dansons à la Carillon, la salle est très remplie, Donato et son orchestre sont en train de jouer.
Malgré la foule, nous dansons ensemble à merveille, son corps est une extension du mien et le mien du sien, elle semble lire ma pensée, elle exécute ses mouvements avec précision, avec une précision millimétrique.
L'orchestre fait une pause.
Une femme avec une cascade de boucles noires monte sur l'estrade. Elle sourit au public, qui l'acclame, qui crie Lita, Lita !
C'est Lita Morales, elle rayonne du charme.
Je reconnais immédiatement Carnaval de mi Barrio, les premières notes, reconnaissables entre toutes, ont chargé l'air d'énergie, un frisson me parcourt le dos, une envie irrépressible de danser, je connais ce tango par cœur, c'est un classique, je pourrais le danser même sans musique.
Nous dansons.
Puis, tout d'un coup, elle devient raide, lève la tête et me regarde dans les yeux, quelque chose ne va pas, je le sens immédiatement, mais nous continuons à danser, je cherche à rester concentré, me focalisant sur la voix de Lita – beaucoup plus chaude et séduisante que la voix un peu stridente des enregistrements.
A la fin du tango, des applaudissements pour Donato, pour l'orchestre et pour Lita.
L'excitation du public terminé, Donato s'approche du microphone :
« Nous sommes contents d'avoir joué pour la première fois ce nouveau tango, Carnaval de mi barrio ! Je crois comprendre que vous l'avez apprécié ! »
Ce pour la première fois est un coup de poignard au cœur, ça n'avait pas été joué avant ! Je sens que je m'effondre.
Anabella se tourne vers moi, incline un peu la tête et me sourit avec douceur, comme si elle voulait m'aider à m'enlever un poids de la conscience :
« Giuliano, tu ne crois pas que c'est le moment de me donner une explication ? »
Oui, t'as raison, le moment que j'ai tant retardé est arrivé, celui où je t'explique l'absurdité de cette réalité. J'ai toujours hésité car j'ai eu toujours peur que tu ne me croies pas, mais maintenant je ne peux plus reculer.
J'émets un soupir.
« Je suis d'accord, mais pas ici, allons dans un endroit plus tranquille. »
Elle suggère de nous asseoir sur un banc, à quelques pas, sur une place devant une petite église.
Je la sens agitée, je lui prends les mains pour la calmer.
« Anabella, je suis désolé de ne pas t'en avoir parlé avant, mais ... pour moi c'est pas si simple, tu vois... ce que je vais te dire ... c'est vraiment incroyable, moi-même je n'arrive pas à me donner une explication ! »
« Giuliano, avec moi tu peux parler de tout. » Sa voix à un tout petit tremblement, presque imperceptible.
« Tu l'as vu, toi aussi, avec tes yeux, je connaissais par cœur un tango que je n'aurais jamais pu connaître. Comment c'est possible ? »
Je respire profondément.
« Anabella, sans détour, moi je ne fais pas partie de cette époque. »
J'inhale à nouveau.
« Ne me demande pas comme cela a pu arriver, moi non plus, je ne sais pas, un jour je me suis réveillé ici, à Buenos Aires en 1936, mais en réalité... je viens d'une époque qui se trouve une soixante-dizaine d'années dans le futur ! »
Je ne remarque pas la moindre réaction dans son regard, ses yeux me fixent, trop, comme une personne qui ne veut pas se trahir avec son regard.
D'un coup, j'entends un mouvement derrière moi, en une fraction de seconde je me retrouve avec un tissu pressé contre mon nez et ma bouche. Je perds connaissance.
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L'hôte
Science FictionGiuliano vit à Paris. Un jour, il se réveille en 1936. Comment est-ce possible ? Comment revenir en arrière ? Si Giuliano change le cours de l'Histoire, que se passera-t-il dans son présent ? Une succession d'événements dans l'espace et dans le te...