24 - Café Dominguez

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Paris, 7 août 2008.

Florence était là, devant moi, un revolver à la main, le regard figé, glaciale, le canon métallique pointé droit vers mon front, si je faisais rien qu'un seul petit mouvement brusque, elle m'aurait tiré dessus. Et sans hésiter. Je n'aurais jamais pu imaginer que les évènements nous auraient conduit là.

Florence avait disparu après le rendez-vous au Jupiter, je n'avais pas la moindre idée de comment la retrouver. J'étais au bout du rouleau, j'avais toujours la tête à elle, je souffrais d'insomnie, le jour je végétais ; n'arrivant pas à me concentrer sur le travail, je cumulais les retards et les erreurs.

Un soir, Giuseppe m'appela et sans passer par les quatre chemins me balança un :

« Mais putain, t'étais où ? »

Pendant la conversation mon attention fut attirée par la musique qu'il était en train d'écouter, Café Dominguez, un tango, un classique de D'Agostino.

J'eu une intuition qui s'évanouit en une fraction de seconde, sans me donner l'opportunité de la saisir.

Après le coup de fil, je me versai un Martini et je mis Café Dominguez dans la chaîne hi-fi.

Les premières notes me saisirent et je revis moi-même danser ce tango avec Florence.

« C'est très beau ce tango, ça s'appelle comment ? »

« Café Dominguez, de D'Agostino. »

« Maintenant je comprends ! » elle exclama, avec les yeux d'Archimède disant eurêka.

« Maintenant je comprends quoi ? »

« Il y a un café près de chez moi, il s'appelle exactement comme ça, Café Dominguez, sûrement parce qu'il se trouve près de l'ambassade argentine. J'y vais souvent après le déjeuner, pour prendre un thé et pour lire. Il est très beau, en style Art Nouveau, dans le moindre détail ! »

Putain ! Comment j'ai pu ne pas y penser avant !

Je bondis du fauteuil, me versant même la moitié du verre sur le dos de ma main et sur le parquet.

Je le trouvai immédiatement sur internet, Café Dominguez, 77 rue Lauriston, dans le XVIème et au fait, très proche de l'ambassade argentine.

A 13h, j'étais déjà sur place. Effectivement le café rappelait immédiatement le style Art Nouveau, dès la façade, avec ses amples baies vitrées entourées de bordures sinueuses comme des plantes.

Je donnai un coup d'œil rapide de l'extérieur, Florence n'y était pas.

Je ne pouvais pas rester à attendre sur place, j'aurais éveillé des suspicions, je décidai de faire un tour à pieds, je repasserai par là tous les quarts d'heure.

Après une heure environ, aucune trace de Florence, j'eus la tentation de m'en aller, quand soudain, je la vis de loin, se promener avec son allure, lente et sensuelle, en direction du Café Dominguez.

Elle entra.

Après quelques minutes, elle était assise avec une tasse de thé à côté d'une des deux baies vitrées ; elle prit un livre et commença à lire.

J'entrai.

Elle ne se tourna même pas, étant totalement prise par la lecture.

Je commandai un café au bar et je m'assis à la table, à côté de la sienne.

Je cherchai mes mots, mais sans succès.

Je l'observai avec discrétion, je notai qu'elle lisait El fin de la Eternidad – La fin de l'Éternité', d'Isaac Asimov. En espagnol. En espagnol ?

Ses sourcils commentaient chaque émotion, se levant ou se baissant, puis elle ouvrit la bouche, en signe de stupéfaction, qui se muta tout de suite en une grimace, elle leva sa tête du libre et commença à la bouger en signe de désapprobation. Ce fut à cet instant précis qu'elle m'aperçut du coin de son œil.

Elle sauta comme si on lui avait jeté un scorpion dessus, resta bouche bée, les yeux écarquillés.

Je lui murmurai, pour ne pas me faire entendre par les autres clients :

« Florence... je suis désolé de me pointer comme ça... enfin, pratiquement... je devais te parler en quelque sort, tu t'es carrément volatilisée... »

Elle était paralysée, comme si la scène ne se passait à cet instant, comme si elle revivait des souvenirs.

Je décidai de continuer

« Enfin tu ne peux pas disparaitre comme ça, sans me donner une explication... non ? »

« Moi je te dois une explication ? Moi je te dois une explication ? Moi je te dois une explication ? » Répondit-elle en un crescendo qui fit se tourner tout le monde.

Elle ouvrit son petit sac, en sortit de son portefeuille un billet de cinq euros, le jeta sur la table et se précipita dehors. Moi, moins magnanime, je laissai 2 euros sur la table et la suivis.

Elle avait quitté sa typique allure vacancière, elle marchait décidément vite. Je la rejoignis, marchant à côté d'elle, esquivant les piétons qui allaient en sens opposé.

« Florence je ne sais pas de quoi tu parles. J'ai rencontré ton mari. Il a essayé de m'acheter, j'ai refusé, franchement il y a quelque chose qui ne tourne pas rond ici, pourquoi cette réaction de ta part ? »

Elle se bloqua et me fixa dans les yeux, avec une toute petite oscillation de la tête, comme si elle voulait m'observer d'un angle différent.

« Incroyable, quelle mimique faciale, qui ne tomberait pas dans le piège ? Tes bobards, tu vas les raconter à une autre ! »

« Mais putain, de quoi tu parles ? » Je criai.

Elle s'arrêta. Elle fit un soupir.

« Ok, tu l'as cherché, ça me semble pas l'endroit pour en discuter ici, sur un trottoir, viens chez moi, on se voit là-bas dans une heure. »

Elle ouvrit son petit sac et en sortit un petit bloc-notes et écrit dessus avec violence son adresse, elle décrocha avec rapidité la feuille et me la donna froidement, ajoutant :

« Dans une heure ! »

Elle se retourna, traversa la route et disparut à l'angle.

Je restai immobile, ne sachant nullement comme interpréter sa réaction.

Pourquoi chez elle ? Un tête à tête avec son mari ?

Je n'avais rien à craindre.

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