Paris, 21 mars 2011
Je n'entends rien, je ne voie rien, je suis une pensée pure.
Je reste dans cet état pendant un temps indéfini, suspendu dans une espèce de vide sidéral.
Puis, je commence à entendre un bruit, rythmique, qui grandit d'intensité, jusqu'à devenir définis, électronique.
Comme la coquille d'un œuf, le noir se fend et une lumière de plus en plus intense commence à filtrer entre les fissures, je sens que j'ai un corps, avec fatigue, j'ouvre mes yeux.
Les médecins m'expliquent que je suis resté dans le coma pendant quatre mois environ. J'essaie d'avoir des nouvelles de Florence, mais ils sont évasifs, je le sens. Mais moi j'insiste, parce qu'elle a dû être emmenée dans cet hôpital, ils doivent savoir. A la fin un parmi eux me confirme ce que j'avais toujours craint : Florence est décédée sur le coup.
Même si je m'en suis toujours douté, je pleure, sans pouvoir m'arrêter. Je me sens écrasé par le remord.
Sorti de l'hôpital, je me fais des réserves de nourriture pour me barricader chez moi et couper les ponts avec le reste du monde, j'en ai besoin.
Dans la maison tout marche parfaitement – heureusement j'ai toujours opté pour le prélèvement automatique de toutes les factures. Le frigo est dans un état pitoyable, tous les aliments sont pourris, il y a de la moisissure partout et une puanteur à retourner l'estomac.
Mon expérience à Buenos Aires n'a pas la saveur d'un rêve, mais celle d'un souvenir, très clair, avec ses odeurs, ses saveurs, ses sons. Anabella est là avec sa voix, son corps, ses sourires, et Lev, Hélène, Rodrigo, Manuel, Jocelyne, Donato, le Sultan, sont tous vifs dans ma tête, comme si je les avais quittés la veille.
Je vais sur Wikipédia, rien n'a changé : le gouvernement Perón, la dictature des années 70, les desaparecidos.
Rien, aucune trace du Tigre et Anabella, ils n'ont jamais existé. Je sens mon cœur se serrer.
Je me refuse à croire que tout cela a été un rêve.
Une partie de moi, en revanche, commence à en douter, me suggérant qu'il a pu s'agir d'une sorte de scénario, très réel, élaboré par le cerveau pendant le coma. Mon cerveau aurait pioché, peut-être, dans mes rêves – au final, voir avec mes yeux le Buenos Aires des années 30 était un de mes rêves.
J'ai une intuition, je fais accorder mon piano.
Il a été accordé, maintenant et il est la devant moi, austère, imposant. J'appuie sur une touche, une note résonne dans le salon.
Au fond de moi, j'ai peur de cette épreuve, je sais que le verdict sera sans appel. Je prends une longue inspiration.
Je ne peux plus hésiter, la réponse est là, devant moi, je m'assois, je pose mes mains sur le clavier, elles volent, incontrôlables et, magiquement, les Gymnopédies jaillissent de mes doigts.
Je joue, je joue ! C'était vrai, tout était vrai !
Je crie ma joie.
Mais ma joie se transforme vite en frustration, parce que je me sens enfermé hors de ce monde que je viens de quitter.
Je décide de me jeter dans le travail. Les semaines volent.
Je reçois un ordre insolite, on me demande de me rendre auprès d'une dame qui habite dans une villa élégante de la banlieue parisienne. Une femme avec des cheveux noirs et ondulés et deux beaux yeux bleus vient ouvrir la porte. Elle me rappelle énormément Vivien Leigh.
C'est la domestique.
Elle m'accompagne vers un ample salon, où un garçon et une fille regardent un dessin animé de Tom & Jerry.
« Bonjour Giuliano. »
C'est une voix familière, je vois une femme, de dos, qui regarde par la fenêtre, elle se tourne, je la reconnais, c'est Jocelyne !
Je me réveille à l'instant, mon cœur bat très fort, je respire bruyamment, je reste assis dans le lit, les yeux ouverts, cherchant à comprendre la signification de ce rêve.
Mon esprit vagabonde, me transportant au matin après ma première nuit d'amour avec Florence.
« C'est ça le piano ? Tu sais jouer du piano ? »
« Ah non, j'aimerais, il n'est même pas à moi. C'est celui d'une ex, l'histoire c'est très mal terminée, maintenant elle vit à Buenos Aires, mais le piano est resté ici, ça fait à peu près trois ans qu'elle doit venir le chercher ! »
« La vache, il est très beau ce piano vertical ! »
Elle le caresse, comme s'il était un cheval.
« Mais, je comprends pas, pourquoi tu le bouges pas un peu plus à droite ? Il est pas centré par rapport au mur, il est tout de côté ! »
« Je sais, mais je l'ai mis là pour cacher la maison de Jerry. »
Elle écarquille ses yeux, elle ne comprend pas.
« Derrière le piano, en bas, il y a un trou dans le mur, comme le trou de Jerry. »
Ses yeux sont toujours écarquillés.
« Jerry, la sourie de Tom et Jerry ! »
« Qui que ce soit ce Jerry, je t'en prie, laisse ce piano là où il est, moi si je voie une sourie je m'accroche au lampadaire ! »
Mon esprit vole aux derniers instants à la Floreal, j'entends à nouveau la voix d'Anabella me crier lamedegé.
Lamedegé !
Elle était en train de crier la maison de Jerry ? C'est pas vrai ! Anabella voulait m'indiquer ce trou dans le mur ? Mais comment elle pouvait connaître son existence ?
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L'hôte
Ciencia FicciónGiuliano vit à Paris. Un jour, il se réveille en 1936. Comment est-ce possible ? Comment revenir en arrière ? Si Giuliano change le cours de l'Histoire, que se passera-t-il dans son présent ? Une succession d'événements dans l'espace et dans le te...