L'hôte

45 - Vies de Facebook

Après avoir écouté le faux enregistrement de Matthieu, nous fîmes l'amour.

Nous dormîmes pendant quelques heures, puis, après le petit déjeuner, je pris un taxi et retournai à la maison.

Florence me rejoignit en fin d'après-midi, laissant sur la table de la cuisine, un petit mot – Matthieu devait revenir de son voyage quelque jour après.

Matthieu,

Ton enregistrement est pathétiquement faux, c'est fini entre nous, je m'en vais.

Je te conseille d'éviter tout action légale.

Fais-moi savoir, par email, quand tu ne seras pas à la maison, je passerai prendre le reste de mes affaires, une demi-journée sera suffisante.

Mon avocat te contactera pour la suite.

Florence

Stop

Les matins nous nous éveillions ensemble, nous prenions le petit déjeuner au lit, moi, après, j'allais travailler dans mon atelier, pendant qu'elle lisait des bouquins et surfait sur internet pendant la matinée.

L'après-midi elle s'occupait du ménage, le reste du temps, s'il lui en restait, elle le dédiait au cinéma, aux expositions, au shopping.

Toute notre vie tournait autour du tango, nous sortions trois, quatre soirs par semaine.

Après le dîner, nous sortions pour danser, parfois elle me rejoignait directement à la milonga, quand elle était en retard – elle passait des heures aux expositions et ce n'était pas rare qu'elle m'appelle de la rue pour me dire qu'elle aurait mangé un sandwich en marchant.

Une fois par mois, nous passions un weekend entier à l'étranger, il y avait toujours un festival qui réunissait beaucoup de passionnés, avec les meilleurs orchestres et les meilleures démonstrations de maestros, presque toujours argentins.

Voilà, vu de cet angle, notre vie semblait ce genre de vies parfaites qu'on voit sur Facebook, ou les gens tendent à se montrer sous leur meilleur jour.

Notre réalité était bien différente, malheureusement, et paradoxalement juste à cause du tango.

Presque chaque soirée de tango se terminait en interminables discussions dès la sortie de la milonga, des discussions qui se prolongeaient jusqu'à la maison, jusqu'au lit, jusqu'à quand le sommeil nous éteignait.

« Avoue-le, quand tu dansais avec celle-là, tu t'ennuyais pas du tout ! »

« Pourquoi, on doit danser pour s'ennuyer ? »

« N'essaie même pas de faire le con, au moins avec moi, t'es trop smart pour être crédible comme idiot ! »

« Mais Florence, ça c'est du tango, il y a toujours un certain pathos dans la danse. Par exemple, prends le flamenco... »

« Quoi le flamenco ? »

« Toi, t'as déjà vu un danseur de flamenco qui sourit ? Voilà, moi jamais ! »

« Mais si quand tu danses avec moi, on dirait que tu bailles, avec moi tu fais le SMIC, ces deux tandas de courtoisie et puis tu te casses ! Avec celle-là, la rouquine ... celle qui crée des objets pour la déco.... enfin tu m'as comprise... putain elle s'appelle comment... Agnès ! T'as dansé une heure avec elle ! Une heure ! Tu te rends compte ? Et moi là, assise comme une conne ! »

« Florence, tu dois avoir patience, t'es en train de faire beaucoup de progrès, mais le tango a besoin de son temps, tu apprendras à transférer ta sensualité dans le tango. »

« Ah, tu vois que mon tango n'est pas sensuel ! Tu vois que tu l'as avoué ! »

Et nous continuâmes ainsi jusqu'à quatre heures et demie.