30 - Le café Vito

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Buenos Aires, 11 janvier 1937.

Assi sur un banc, j'observe le Café Vito. C'est peut-être à cause des petites tables rondes, en marbre et fer forgé, qui s'élèvent des parterres, ou à cause de cette plante qui contourne la porte d'entrée, ou encore du crépis ocre, le Café Vito me rappelle le quartier romain de Transtevere et me plait instantanément.

Vito, avec son physique alourdi par les années, court parmi les tables pour prendre les commandes, servir et encaisser, il a juste le temps de sortir de sa poche un mouchoir pour se sécher le front – il fait très chaud.

Son seul serveur est parti depuis quelques jours, comme ça, du jour au lendemain ; la nouvelle est arrivée à la Boca et Julio m'en a parlé. Il est évident qu'il ne peut pas continuer à ce rythme, son cœur exploserait.

Je m'assoie à une table, pas tellement pour consommer, plutôt pour avoir son attention pour quelques instants, car l'arrêter pour lui parler serait impossible.

Il arrive à ma table, le front perlé de sueur. Je commande un café et je lui parle de ma recherche de travail, il est absent, il regarde autour de lui pour voir si tout roule bien, puis, mes mots arrivent à destination, il se bloque d'un coup et me regarde dans les yeux, fait un pas en arrière et me regarde de la tête aux pieds. Il ne me demande même pas si j'ai déjà travaillé comme serveur, je suis habillé correctement pour servir aux tables, j'ai une gueule sans cicatrices, deux bras sans ancres ni sirènes, je peux démarrer à l'instant – au sens littéral du terme.

« Viens... Gaetano, non ? »

« Giuliano ! »

« Ah oui, c'est vrai, viens Giuliano, je te montre comme on fait ici, pour aujourd'hui tu fais que du café, puis je t'explique le reste, Gae... Giuliano. »

Le salaire est correct, j'accepte.

Une semaine est passée, il pleut, c'est le typique orage estival, du vent très fort, à décorner les bœufs, comme on dit en français.

Ou devrais-je dire on disait ? Ou plutôt on dira ? Laissons tomber.

J'entends sonner la petite cloche à l'entrée, un nouveau client vient d'ouvrir la porte, c'est une fille, avec un parapluie cassé par le vent, ses cheveux sont tous mouillés et collés au visage, elle est grande, avec une silhouette élancée, des traits nordiques et de grands yeux azurs, la lèvre supérieure est un peu pointue et un peu tournée vers le haut. Elle est vraiment jolie.

Je reste pétrifié devant cette vision, goûtant à l'avance le moment où j'irai la servir à sa table et je la verrai de près.

Un client m'appelle, je vais à sa table. Je me retourne dès que possible, mais la cliente n'y est plus, je jette un coup d'œil à la salle, elle s'est volatilisée, la petite cloche n'a pas sonné en revanche, elle ne peut pas être sortie, où elle a bien pu aller ?

Quelques secondes après je la vois sortir de la salle de bain, avec les cheveux toujours humides mais ramassés en un chignon, elle porte un napperon.

C'est une collègue ! Je l'impression que je viens de gagner au loto !

Malgré mes espoirs, les semaines passent sans que j'arrive à établir un contact avec elle, elle est toujours focalisée sur son travail et ne me laisse pas la moindre porte d'entrée.

En revanche, du coin de l'œil, je l'ai surprise plusieurs fois à me regarder. Pour l'instant, je sais seulement qu'elle s'appelle Anabella.

Nous finissons tous les deux notre tour a la même heure, je prends mon courage à deux mains et je la suis :

« Anabella. »

Elle continue à marcher.

Peut-être elle m'a entendu et elle ne veut pas que je la dérange, elles font comme ça les femmes ici pour faire comprendre qu'il n'y a pas d'espoir ?

Ou peut-être elle est dispo, mais elle veut que j'insiste, on sait jamais je pensais vraiment qu'elle était là, tout prête pour moi ?

« Anabella ! »

Cette fois, elle se tourne et me regarde avec stupeur, attendant que je dise quelque chose.

« Je suis désolé si je t'ai fait peur, on travaille toute la journée et il n'y a pas de temps pour parler... voilà je me disais... au fait je voulais savoir... »

« Quoi ? »

« Est-ce que par hasard... tu danses le tango ? »

« Est-ce que par hasard, tu penses que quelqu'un, ici à Buenos Aires, ne danse pas le tango ? Et elle me regarde en souriant avec ses yeux.

Je tente maladroitement de rire

Mal, mal, mal ! Putain, ça va pas du tout, je suis en train de me mettre dans une case entre le coincé et le con ! Je dois être plus direct !

« Je ne sais pas où aller, tu sais, je suis ici depuis pas longtemps, il y a tellement de milongas... t'aurais pas quelque nom à me conseiller ? »

« Moi, ce soir, j'irai à la Bruja... je rentre chez moi manger quelque chose, si tu veux on peut se voir à la Bruja. »

-alw$

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