10 - Rodrigo

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Comment c'est possible d'atterrir en 1936 ? Et pourquoi mon visage n'est plus le même ? C'est la réalité, je dois l'accepter. Comment on peut accepter une absurdité pareille ? Qui a pu faire une chose pareille ? Et pourquoi moi ?

Ces pensées tournent en rond dans ma tête, comme un vieux disque rayé.

Puis, je commence à voir les choses d'un autre point de vue, me disant que si j'avais été soudainement catapulté dans la Buenos Aires des années trente, peut-être j'aurais pu, soudainement être ramené au présent.

Voir les choses dans cette perspective me rendait tout plus excitant. Je me trouvais comme un touriste dans une des périodes les plus étudiées par les historiens du tango, un peu comme se trouver dans la Florence du seizième siècle pour un passionné de la Renaissance.

Je pourrais connaître des danseurs légendaires, fréquenter des milongas qui seraient devenues des monuments du tango, écouter live les orchestres qui auraient fait partie de ma collection de CDs.

Oui, je pourrais, mais hors de cette clinique. La réalité dans laquelle je suis a bien peu de fantastique, je me trouve toujours enfermé entre ces murs, pris pour un espion envoyé par Mussolini ou pour un fou, dans le meilleur des cas.

La porte s'ouvre, mère Tina entre dans la chambre avec son charriot pour le petit déjeuner, cette fois-ci il y a des pilules aussi.

« C'est quoi ces pilules ? »

« Fais pas d'histoires... et puis j'en sais rien moi. Fais comme le docteur Valso veut, prends ces pilules. A propos, il veut te parler dans vingt minutes. »

Une heure après, le docteur Valso arrive.

« Alors, comment ça va notre... clochard italien ? »

« Le clochard italien va bien, docteur, mais... c'est quoi ces pilules ? »

« Mais rien, rien de spécial, que des trucs à base d'herbes, ça fait reposer les nerfs, si vous ne voulez pas, vous pouvez bien les laisser où elles sont. »

Après une pause, il ajoute :

« Je suis passé vous voir car j'ai des questions à vous poser, vous devez répondre oui ou non, on y va ?

"Et ça serait quoi le but de ce petit jeu ?"

« Comprendre si vous êtes sain ou fou. Si vous êtes sain, vous irez chez les militaires, si vous êtes fou nous aurons alors tout le plaisir de vous accueillir chez nous. »

« Bellissimo, j'ai hâte de faire ce test ! » je réponds avec du sarcasme évident.

Il prend une chaise, s'approche du lit et s'allume une cigarette.

« Vous êtes italien ? »

« Oui. »

« Vous êtes argentin ? »

"Non."

"Vous êtes un homme ?"

« Mais c'est quoi cette question ? »

« Je vous prie de répondre par un oui ou par un non. »

« Oui. »

« Vous êtes dans un lit ? »

« Oui. »

« Vous êtes blond ? »

« Non. »

Nous continuons ainsi pour au moins un quart d'heure.

« Ça suffit, maintenant regardez ces images et dites-moi ce qui vous vient à l'esprit. »

L'hôteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant