Le lendemain, Shirley émergea comme d'habitude vers neuf heures trente, et descendit dans le salon, où elle s'attendait à trouver son frère. Depuis qu'il était là, il se levait chaque jour à sept heures et regardait la télé en attendant qu'elle arrive.
Il n'y était pas.
Étrange, pensa-t-elle.
Elle remonta au premier pour voir sa chambre. La porte était ouverte ; la pièce vide. Ce qui était inquiétant, c'est que le lit n'était pas fait. Il faisait toujours son lit. Plus généralement, le désordre régnant dans le lieu n'était pas son genre. Des vêtements traînaient au sol sous un des tiroirs de la commode resté ouvert ; on aurait dit qu'il avait attrapé des affaires en urgence avant de détaler. Une inquiétude sourde s'insinua en elle, lui glaçant la nuque. Il se passait quelque chose d'anormal.
Elle repartit prendre son portable dans sa propre chambre et tenta de l'appeler. Une sonnerie retentit au rez-de-chaussée. Elle dévala les escaliers pour constater qu'il avait laissé son téléphone sur la table de la cuisine.
Elle se rendit sur la terrasse et observa la route. Peut-être venait-il juste de sortir ? Elle regarda au loin, sa main en visière sur le front pour se protéger du soleil.
Rien.
Elle essaya de se calmer et de rationaliser. Peter était un grand garçon à qui il ne pouvait rien arriver. Il était sorti faire un tour, voilà tout. Inutile de paniquer. D'accord. Mais quid de la chambre sens dessus dessous ? (Un tiroir laissé ouvert, plus deux t-shirts par terre, c'était carrément le foutoir pour lui.) Le téléphone abandonné ? L'angoisse s'abattit sur elle comme une lame de fond.
Tremblante, elle sortit le calepin contenant les numéros de téléphone de tous ses voisins et commença à les appeler un par un, pour savoir si l'un d'entre eux aurait vu Peter marcher dans la rue, aller quelque part, ou quoi que ce soit d'autre. Elle fit chou blanc.
N'ayant plus d'autre choix, après s'être habillée, elle partit à sa recherche, non sans avoir laissé un mot dans la cuisine lui demandant – lui ordonnant ! – de l'appeler dès qu'il rentrerait.
Après une journée à tourner en voiture dans tous les lieux où elle pensait pouvoir le trouver, elle rentra à la villa toujours vide.
Désespérée, affolée, apeurée, elle n'avait plus qu'une chose à faire. Elle appela la police et le NTSB pour les prévenir que son frère avait disparu et qu'il fallait au plus vite partir à sa recherche.
Toutes les sociétés en proie à une crise morale ont tendance à se recroqueviller sur leur glorieux passé. C'était le cas des États-Unis en ce début de XXIe siècle catastrophique. Un effondrement économique, deux guerres idiotes à l'autre bout du globe et la naissance d'un monde plus hostile et moins soumis aux yankees, avaient sapé le moral des concitoyens de l'oncle Sam.
Dans ces conditions, pour beaucoup d'Américains – et singulièrement, pour une grande majorité qui ne les avait pas connues – les années cinquante faisaient figure de période bénie. Les USA dominaient la planète, les réserves de pétrole semblaient éternelles, les pays pauvres n'étaient pas encore en voie de développement et le grand Satan de l'époque, le communiste, n'avait pas le culot de balancer ses avions dans les buildings New-Yorkais. C'était le bon temps, quoi.
On observait donc un important revival fifties. La mode rockabilly revenait sur le devant de la scène et les diners, à l'ambiance inspirée de Grease, fleurissaient un peu partout.
C'est dans l'un d'entre eux qu'Andrew Perry patientait en sirotant un milk-shake à la fraise. Il observait en silence le mobilier d'époque, la déco vintage et les serveurs en uniforme, arborant des badges aux noms de Buddy Holly ou Peggy Sue. On se serait presque attendu à voir débarquer Fonzy. Seul compromis avec le monde moderne, le juke-box ne diffusait pas Elvis Presley mais la dernière chanson de Rihanna. Le personnel avait probablement fait intervenir son syndicat pour obtenir cette concession.
Son contact habituel entra dans le restaurant et vint directement à sa table. Il s'assit en face de lui.
— Vous l'avez ? attaqua-t-il de but en blanc.
— Bonjour. Je vous en prie, asseyez-vous, répondit ironiquement Perry. Prendrez-vous un café, vous qui ne m'avez jamais dit votre nom ?
L'autre se rembrunit.
— Je n'ai pas le temps de plaisanter. Vous l'avez ?
— Oui.
Joignant le geste à la parole, il ouvrit son attaché-case et en tira un sachet en plastique transparent, fermé par un zip. À l'intérieur, se trouvait un gobelet en carton, souillé par du café séché.
— Et voilà, dit Perry en tendant le sac à l'autre type. Du bel ADN tout chaud.
L'homme sans nom attrapa le sac et le rangea dans sa propre mallette.
— Très bien, Perry. L'argent sera viré sur votre compte aux îles Caïman dans les douze heures.
— C'est parfait.
— Désormais, votre mission est finie. Nous ne ferons plus appel à vous.
— Ah ?
Cette dernière phrase le décontenança, mais il tâcha de ne rien laisser paraître. Il avala les dernières gorgées de son milk-shake comme si de rien n'était.
La corruption était un bon moyen de gagner beaucoup et très vite, et l'idée que tout s'arrête brusquement ne lui plaisait pas vraiment. Certes, avec ce qu'il avait amassé en quelques années, il pouvait prendre sa retraite sur une île de millionnaire ; mais enfin, en matière d'argent, on n'en avait jamais assez, n'est-ce pas ?
Il tenta maladroitement de convaincre son employeur mystérieux de le garder encore un peu.
— Vous avez tout ce qu'il vous faut, alors ? demanda-t-il.
— On peut dire ça comme ça.
— Et vous ne voulez pas me dire de quoi il s'agit ? Je pourrais peut-être vous aidez.
— Moins vous...
— Moins j'en sais, mieux je me porte. Je sais. Vous me le répétez à chaque fois.
— Au revoir, Perry.
— Attendez...
Le téléphone de l'agent du NTSB sonna. Il le sortit de sa poche tout en faisant signe à son interlocuteur de ne pas bouger.
— C'est le bureau. Laissez-moi répondre et... je suis sûr qu'on peut encore travailler ensemble. (Il décrocha.) Allo ? Oui.
L'autre se leva et commença à partir. Perry se pencha en avant pour tenter de le retenir mais l'agent anonyme lui opposa un regard menaçant et sans ambiguïté, signifiant : « Joue pas à ça. »
Perry se rassit et l'observa, s'éloignant vers la sortie, avant de revenir à sa conversation téléphonique.
— Quoi ? Répète. Tu es sûr ?
Il lâcha alors (en haussant le ton, pour être sûr que l'autre, sous le panneau Exit, l'entende) : « McAllister a disparu ? »
L'appât était bon et le poisson mordit à l'hameçon. L'homme sans nom se retourna et, lentement, revint s'asseoir. Perry termina rapidement sa conversation puis raccrocha.
— McAllister a disparu. Il aurait apparemment quitté le domicile de sa sœur de façon précipitée, tôt dans la matinée, et serait introuvable depuis.
— Intéressant... répondit l'autre. Finalement, vous aviez raison : nous allons avoir besoin de vous encore une fois, pour une ultime mission.
— À la bonne heure, lança le traître avec gaieté, avant d'ajouter, avec un petit sourire en coin : mais s'il s'agit de la dernière fois, je vais me trouver obligé d'augmenter mes tarifs.
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Dévoré de l'intérieur [Terminée]
Science FictionComment lutter quand l'ennemi est en vous ? Depuis qu'il a miraculeusement survécu à un crash aérien, Peter McAllister n'est plus le même. Il n'a qu'une idée fixe : aller à l'est... sans savoir lui-même ce que cela signifie. Pour sa sœur, la vedette...