Chapitre 9

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Le désert des Mojaves n'est pas l'endroit le plus accueillant du monde. Dès qu'on s'éloigne des rares villes, on entre dans un autre monde, passant soudain de la civilisation à la solitude la plus totale. C'est ici le royaume des coyotes et des renards.

En ce lieu, Peter McAllister détonnait autant qu'un indien d'Amazonie sur Broadway.

Il errait depuis plusieurs jours dans la plaine rocailleuse plantée de yuccas. Au loin, il y avait les montagnes ; et au-delà... il ne savait pas vraiment.

Mais il devait y aller.



Il s'était réveillé en sursaut chez sa sœur, envahi par une sorte de panique. En nage, le souffle court, il avait tenté de mettre de l'ordre dans ses idées. Il avait prit une douche, pensant ainsi faire disparaître l'angoisse, en vain.

Il avait tourné en rond plus d'une heure autour du lit, se demandant s'il ne devenait pas fou. Puis, saisi d'un besoin irrépressible, il s'était habillé en vitesse et avait quitté la maison de Shirley en embarquant tout l'argent liquide dont il disposait.

Son instinct – dont il ignorait un instant plus tôt qu'il existait – l'entraînait à l'est.



Une force le poussait à marcher dans le désert, à l'écart des routes et des habitations. Il était dans un état second, qui lui laissait pourtant la maîtrise de son esprit. Tout en avançant, il pouvait s'interroger sur ses motivations.

Le soleil brillait tant, que sa lumière envahissait la moitié du ciel. Son éclat aveuglant empêchait de voir. La chaleur écrasait tout. Un homme seul, perdu dans cette étendue, ne pouvait espérer survivre longtemps. En quelques heures, le cagnard le dessécherait comme un vieux fruit.

Son entreprise était folle, alors pourquoi continuer ?

Il tournait et retournait la question dans sa tête, mais rien à faire, son corps ne lui obéissait plus. Une chose noire l'habitait. Il pouvait sentir cette intruse dans son esprit, s'insinuant peu à peu en lui et le tirant vers l'est, vers un but connu d'elle seule.

C'est une sensation effroyable de se sentir dépossédé de soi. Il hurla de terreur, mais son cri ne retentit que dans sa tête. Pas un son ne sortit de son corps devenu zombi.



Il émergea de sa torpeur en pleine nuit, à nouveau libre de ses mouvements. La force insidieuse qui l'avait contraint toute la journée n'était plus là. C'était comme se réveiller d'un mauvais rêve.

Il examina l'endroit où il se trouvait, au milieu du désert. La lune et les étoiles éclairaient ce territoire sauvage et, dans d'autres circonstances, le spectacle eût été splendide.

Il se releva, fourbu d'avoir dormi à même la terre, et s'épousseta. Le silence régnait, à peine troublé par le bruissement des petits animaux peuplant les arbustes et les cactus. Crotales, scorpions, tarentules... Le désert qui semblait mort débordait en fait de vie.

Il remarqua qu'il n'avait ni faim, ni soif, ce qui était plus qu'étonnant, dans la mesure où il n'avait rien avalé depuis plus de vingt-quatre heures, et qu'il avait marché longtemps dans la canicule.

La chose noire semblait dotée d'une énergie sans fin.

Mais pour l'instant, elle n'était plus là, c'était donc le moment de reprendre le contrôle de lui-même et d'essayer de se sortir de cette situation. Il observa autour de lui. Partout, le désert s'étendait. À l'est : les montagnes ; hors de question d'aller par là. À l'ouest : la plaine ; de la rocaille, du sable, des cactus, et à quelques kilomètres, une allée d'arbres. Des arbres étranges, au demeurant. Il plissa les yeux pour voir mieux. Les arbres faisaient tous la même taille et étaient parfaitement espacés. Trop rectiligne pour être naturel.

Des poteaux électriques !

Il n'avait plus qu'à les suivre, ils le mèneraient forcément à une habitation.



Après une longue marche, il distingua des lumières au loin. Enfin une lueur d'espoir. Il accéléra le pas et toucha bientôt au but : une station-service dont l'enseigne néon restait éclairée toute la nuit. À cette heure avancée, l'endroit était fermé. Il en fit le tour et chercha une ville alentour, mais apparemment, c'était le genre de station perdue au milieu de nulle part. Le carton des horaires, sur la porte d'entrée, indiquait l'ouverture à six heures du matin. Le mieux était peut-être d'attendre l'arrivée du propriétaire.

Il vit alors la cabine téléphonique, entre la poubelle et le banc posé contre la façade.

Il fouilla frénétiquement dans sa poche et en retira de la petite monnaie. Il y avait de quoi appeler Shirley !

Il attrapa le combiné et poussa les pièces dans la fente. C'est alors qu'une violente douleur explosa dans sa tête. Il eut l'impression qu'un sabre lui transperçait le crâne d'une tempe à l'autre. Il sentit la chose noire. Elle s'était réveillée et tâchait de l'empêcher de téléphoner en lui infligeant les pires souffrances physiques.

Était-elle fatiguée ? La nuit lui était-elle défavorable ? Toujours est-il qu'elle n'arrivait pas à prendre le dessus aussi facilement que dans la journée, où elle l'avait baladé à sa guise. Il résista, et malgré la douleur, réussit à composer le numéro.

Nouvel assaut de la chose. Ses yeux se mirent à brûler. Terriblement. Comme si on lui enfonçait un fer chauffé au rouge dans la cornée. Un vieux supplice moyenâgeux.

La sonnerie retentit à l'autre bout du fil.

Soudain, il s'effondra. Ses jambes étaient paralysées. Bloqué au sol, il s'accrocha au combiné avec l'énergie du désespoir.

« Allo ? » entendit-il dans l'écouteur.

Le téléphone manqua de lui échapper. Ses doigts, comme le reste de son corps, s'engourdissaient petit à petit. Faisant appel à toutes ses forces, il serra du mieux possible l'appareil.

« Shir... ley... » parvint-il à souffler.

Sa bouche ne répondait pluscorrectement. Sa langue semblait peser des tonnes. Articuler relevait del'exploit. Pourtant, il devait réussir à lancer son SOS. Puisant dans sesultimes ressources, il essaya de parler.

Dévoré de l'intérieur [Terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant