Dévoré de l'intérieur [Terminée]

Chapitre 30

À vingt-et-un ans, Paul Brown était fier de son affectation à un poste aussi prestigieux que celui de la Sécurité Externe de la Creech Air Force Base.

Dans l'armée, il est couramment admis que plus les activités d'une zone militaire sont secrètes, plus son importance est grande. Or, la base d'Indian Springs était au niveau maximum de protection des informations (Top Secret niveau écarlate). Par conséquent, seule l'élite des combattants s'y trouvait préposée. Et Paul en faisait partie.

La Sécurité Externe surveillait les abords de la base et protégeait la première enceinte. Son rôle : empêcher toute intrusion. Ses membres ne connaissaient de la base que son pourtour, aucun d'eux n'y avait jamais pénétré et ils ignoraient tout de ce qui s'y faisait. Ils n'avaient pas besoin de savoir.

Parmi les hommes, toutefois, de nombreuses rumeurs circulaient. Beaucoup parlaient d'extraterrestres, d'autres d'expériences physiques inédites – comme les voyages dans le temps ou l'invisibilité. Paul, qui était cartésien, penchait pour une explication plus terre-à-terre.

Selon lui, la base était probablement une prison secrète de la CIA. Une de ces prisons où les détenus étaient incarcérés hors de tout cadre juridique, et torturés au mépris des conventions internationales.

En 2006, suite à une enquête des autorités de l'Union Européenne, le président Bush Junior avait dû reconnaître l'existence de tels centres, tout en justifiant, au nom de la « guerre contre le terrorisme », les détentions illégales et arbitraires, ainsi que la mise au supplice des prisonniers. Plus tard, le président Obama avait promis la fermeture de ces prisons de la honte... en vain, bien sûr. Aujourd'hui encore, elles continuaient de fonctionner partout dans le monde, dans des pays amis peu regardants sur les droits de l'homme.

Le caractère exceptionnel de la base Creech – toujours selon Paul – était sa présence sur le territoire même des États-Unis, quand les autres se situaient toutes à l'étranger. De fait, les prisons hors frontières n'enfreignaient que le droit international (dont tout le monde se moquait éperdument) et quelques législations locales (mais ça, c'était le problème des autorités des pays concernés), alors que le complexe gardé par l'unité de Paul contrevenait aux lois américaines et à la Constitution même. S'il était découvert, le congrès et la cour suprême risquaient de s'en mêler et le scandale serait énorme. (Car ces braves gens, toujours prompts à répandre la guerre et la mort aux quatre coins du monde, au nom de la Démocratie, étaient en revanche très à cheval sur les principes du droit pour ce qui concernait le territoire américain.)

D'où l'importance impérieuse d'un black-out total sur les activités de la base.

Bien sûr, tout cela n'était qu'hypothèses et pour en savoir plus, Paul espérait un jour pouvoir servir à la Sécurité Interne, qui opérait, elle, au cœur même de l'infrastructure. Mais pour cela, ses états de service héroïque en Irak ne suffiraient pas. Il lui faudrait au moins un passage par les unités d'élites des Navy Seals – ceux-là même qui avaient tué Ben Laden.

En attendant, il faisait les cent pas devant la grille d'entrée Est, prêt à agir en cas d'attaque du puma.

Le puma était un terme ironique utilisé par les gars de l'unité pour désigner tout ennemi susceptible d'attaquer la base. Le nom faisait référence aux méthodes d'entraînement qu'utilisaient les instructeurs de la Sécurité Externe. Les hommes, au cours de leur formation initiale, et régulièrement lors des remises en forme obligatoires, s'entraînaient à la chasse au puma. L'armée – qui y met les moyens quand elle l'estime nécessaire – faisait venir de vrais pumas sur le terrain d'exercices, pour placer les militaires en conditions réelles.

Ces manœuvres iconoclastes, réservées aux seules unités de défense d'Indian Springs, s'ajoutaient aux enseignements conventionnels, sans qu'on sache pourquoi. L'explication officielle du Pentagone était qu'il y avait des pumas dans le désert, et donc, qu'il fallait bien que les troupes sachent réagir en cas d'attaque de félin.

Admettons.

Mais dans ce cas, pourquoi les autres combattants stationnés dans d'autres déserts ne subissaient pas le même entraînement ? Qu'est-ce qui faisait la spécificité de la base Creech ?

Aujourd'hui, Paul Brown allait comprendre.

La route menant jusqu'à l'entrée était un simple chemin de terre. Cet accès était réservé aux livraisons et emprunté seulement par des camions militaires tous terrains ; inutile par conséquent de le faire goudronner.

À cinq cents mètres du jeune soldat, la voie se trouvait bordée par deux buttes de sable assez hautes, parsemées de buissons d'herbes sèches. Ces excroissances au milieu de la plaine devaient être surveillées avec la plus grande acuité, car c'était derrière elle que pouvait se cacher le danger.

Alors qu'il arpentait la route dans le sens de la largeur, il capta un mouvement du coin de l'œil. Aussitôt, il fut sur ses gardes. Dirigeant sa mitrailleuse vers le sentier, il observa avec attention la zone devant lui.

Rien.

Sans doute un mirage dû à la chaleur, se dit-il. Il baissa sa garde.

Soudain, une chose bondit au-dessus de la butte de gauche et passa à celle de droite, derrière laquelle elle disparut.

Paul tressaillit. Cela n'avait duré qu'un quart de seconde et avec la distance, il n'avait pu identifier l'être qu'il avait entraperçu. Mais à la façon que ça avait de se déplacer... ça ressemblait foutrement à un puma !

Il hésita. Devait-il avancer jusqu'au promontoire ou attendre à sa place que l'animal ne fasse le premier pas ? Après tout, le fauve n'avait aucune raison de s'en prendre à lui, aussi, il pouvait très bien se sauver sans demander son reste.

Toutefois, comme rien ne se passait, le soldat commença à s'approcher en direction des collines... quand une bête s'abattit sur lui.

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