Chapitre 22

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La fille de l'accueil lâcha temporairement son flacon de vernis à ongle pour s'occuper du type qui venait de se présenter.

— Vous voulez quoi ? cracha-t-elle.

Elle parlait du nez, ce qui allait bien avec son air porcin. Non pas qu'elle fût moche. Bien au contraire, elle avait un physique de bimbo tendance MTV. Mais ses yeux, vides de toute intelligence, la faisaient tendre vers l'animal de ferme plus que vers la secrétaire.

Elle fixa l'homme – presque aussi large que haut – en attendant une réponse.

— Je suis Edward Goodall, du New Technologies Post, le magazine de l'informatique et des nouvelles technologies.

Larry remonta sur son nez les fausses lunettes de vue, qu'il portait pour renforcer le personnage.

— J'ai envoyé un e-mail la semaine dernière à votre chargé de communication, M. Gil Russo, pour lui demander une interview. Il m'a répondu qu'il examinerait ma demande avec intérêt et me contacterait. Or, voilà que mon patron m'envoie en reportage dans le coin, alors, je me dis : « Edward, ce serait bête de ne pas passer voir en personne si M. Russo ne serait pas disponible. » Et donc, me voilà.

— M. Russo n'est pas ici pour le moment. Je peux prendre un message et...

— Ah bon ? C'est étrange. Dans le parking, j'ai vu une place à son nom et elle est occupée.

— Euh... En fait, ce que je veux dire, c'est qu'il n'est pas disponible pour l'instant. Il a une réunion. Mais je peux prendre un message et...

— Je peux attendre, ça ne me dérange pas. Ce serait idiot de manquer une occasion pareille. Et j'ai toute la journée. Je me mets là, dans la salle d'attente.

— Je... (La secrétaire, prise au dépourvu par ce journaliste sans gêne, était sortie de derrière son bureau.) Je vais voir si M. Russo peut vous recevoir.

— Faites donc, conclut Edward / Larry avec un large sourire.

Il se doutait qu'une entreprise blanchissant de l'argent refuserait de recevoir des journalistes. Toutefois, il faisait le pari qu'en forçant le destin, il aboutirait à ses fins. Si ces gens connaissaient un tant soit peu leur domaine d'activité, ils en concluraient qu'il valait mieux ne pas se faire remarquer négativement par une publication de référence comme le New Technologies.

Il patienta quelques minutes, et, finalement, un homme à l'allure d'employé de bureau modèle fit son apparition.

Il était de taille moyenne, chauve, rasé de près, la cinquantaine. Il portait un pantalon de toile gris, des mocassins noirs, brillants à s'y voir dedans, et une chemisette blanche, impeccablement repassée.

— Bonjour, dit-il en s'adressant à Larry. Je suis Gil Russo.

— Ah ! M. Russo. On m'avait dit que vous n'étiez pas là.

Visiblement contrarié, l'homme lança un regard incendiaire à la secrétaire, qui baissa les yeux. Puis, retrouvant un sourire affable, bien que forcé, il reprit :

— Venez dans mon bureau, je peux vous accorder un peu de temps pour parler de notre entreprise.

— C'est parfait. Je vous suis.

— Bien, commença le chargé de com', que voulez-vous savoir sur nous, M. Goodall ?

Ils étaient assis de part et d'autre du bureau de Russo. La pièce était meublée d'éléments en plastique, ternes et fonctionnels, dans les tons gris-bleus. Des stores vénitiens atténuaient la lumière crue venue de l'extérieur.

Dévoré de l'intérieur [Terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant