Chapitre 20

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Finalement, ils achetèrent (ou, plus précisément, elle acheta) une Chevrolet Impala de 2011. Annoncée à dix-sept mille dollars, ils la touchèrent à quatorze mille, après une négociation serrée de John.

Le marché était le suivant : une fois l'enquête terminée, il se chargerait de la revendre pour rembourser sa cliente. Ainsi, elle pouvait espérer ne pas finir complètement sur la paille à la fin du mois.

Même en pleine journée, on ne croisait que quelques rares véhicules sur la route, principalement des poids lourds. John avait indiqué qu'ils se dirigeaient vers Goodsprings, au sud de Las Vegas. C'est là-bas que vivait l'homme qu'il souhaitait rencontrer.

Ils roulèrent en silence. L'un comme l'autre n'avaient aucune envie de parler. Peut-être à cause de la fatigue engendrée par les événements récents ; à moins que ce ne soit dû à la solitude du lieu et à son calme infini, qui incitent quiconque à se taire et à se fondre dans le paysage, jusqu'à ne faire plus qu'un avec lui. Le désert irradiait d'une aura grandiose, capable de vous happer et de vous entraîner dans ses abysses.

Pour être sûr de ne pas se noyer dans ces contrées desséchées, l'homme les traversait en cosmonaute, enfermé dans une capsule hermétique équipée de tout le confort moderne : climatisation, téléphone, GPS et sonorisation puissante, pour rompre le silence qui, sans cela, pouvait vous rendre fou.

Au bout d'un peu plus de deux heures, ils arrivèrent à destination.

Pour l'administration américaine, Goodsprings était une « communauté non incorporée ». Pour Shirley, c'était un patelin de bouseux.

Le mot le plus adapté pour décrire l'endroit était « désolation ».

Au beau milieu de la plaine aride, sur le sable et les cailloux, on avait posé un quadrillage de voies goudronnées et planté quelques mobil-homes épars ; ainsi était née la ville. Les terrains étaient délimités par des grillages comme on en trouvait dans les pénitenciers et le plus souvent jonchés d'objets hétéroclites, les faisant ressembler à des décharges. La jeune femme se fit la remarque que tout le monde ici semblait posséder une carcasse de pick-up désossée dans son jardin.

Dans l'air surchauffé, la lumière se décomposait en rayons aveuglants, si épais qu'ils paraissaient palpables, et l'ombre, offerte par les quelques arbres flétris le long des routes, échouait à rafraîchir ce lieu brûlé par le feu d'un soleil hostile.

John se gara sur Esmeralda Street, devant une vieille bicoque de bois vermoulu, à la peinture bleu clair écaillée, ressemblant à une ancienne grange réaménagée.

— C'est ici, dit-il.

— Quelle horreur...

— Comme vous y allez.

— Je ne me sens pas rassurée.

— De quoi avez-vous peur ?

— De l'endroit en lui-même. Il est anxiogène.

— Rassurez-vous, vous n'avez rien à craindre. C'est un peu rustique, certes, mais...

— Justement : c'est rustique. Vous n'avez pas vu Délivrance (1) ?

— Je vous en prie. J'ai grandi dans une ville comme celle-ci, vous savez ?

— Et ça vous a plu ?

— Un jour, je vous raconterai. Venez, maintenant.

— Attendez. Vous ne m'avez toujours pas dit qui nous devions rencontrer ici.

— Larry Langman, un vieil ami à moi. Un vrai, cette fois. Nous nous connaissons depuis vingt ans. Depuis le temps où nous étions policiers. Venez.

Dévoré de l'intérieur [Terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant