Dévoré de l'intérieur [Terminée]

Chapitre 32

Un bon soldat est instinctif. En situation de combat, le réflexe doit l'emporter sur la réflexion, pour gagner les quelques dixièmes de seconde qui feront la différence entre la vie et la mort.

Paul Brown était un bon soldat.

Lorsque la chose noire fondit sur lui, il se mit automatiquement en position de défense, comme il l'avait fait des centaines de fois à l'entraînement. Renversé sur le dos par le choc, il plia les jambes pour se protéger de la bête et plaça sa mitraillette sur son cou comme un bouclier, car les pumas avaient pour habitude de saisir leurs proies à la gorge.

Dans cette position inconfortable, il croisa furtivement le regard de son assaillant. Des yeux rouges et cruels, dont toute pitié était absente.

Ce qui était sûr, c'est qu'il ne s'agissait pas d'un puma ordinaire.

À cinquante-quatre ans, Douglas Ferry avait derrière lui une longue carrière dans l'armée. Sa mutation à la Creech Air Force Base en était le couronnement, tant le nombre de place était restreint. Il avait fait des pieds et des mains pour être sélectionné et cela avait été payant.

Bien sûr, à son âge, les unités combattantes lui étaient fermées. On l'avait donc assigné à la vidéosurveillance de la Sécurité Externe.

Depuis trois ans, huit heures par jour, il observait les allers et venues des camions ravitailleurs. Rien de folichon, mais les soldats affectés à la base touchaient une grosse prime, liée à son statut sensible. Et puis, dans un an, ce serait la retraite.

Douglas était donc, comme chaque jour, à demi affalé sur sa chaise, les mains croisées sur le début de bedaine qui lui était poussé ces dernières années, regardant distraitement ce qui se passait du côté de l'entrée Est, avec, en fond sonore, KCMY, la radio country.

Lorsqu'il vit sur l'écran son collègue Paul jeté à terre par une créature non identifiée, il ne réagit pas immédiatement, tant il avait perdu l'habitude qu'il se passe quelque chose.

Il se redressa lentement et se pencha sur le moniteur pour mieux voir. Paul, au sol, se débattait contre un animal gigantesque et effilé. Il vit le jeune soldat bloquer un premier assaut en se protégeant comme on le lui avait appris au camp. La seconde étape consistait à faire basculer l'animal sur le côté pour se défaire de son emprise. Généralement, leur avait-on expliqué, les pumas misaient tout sur l'effet de surprise. Si l'attaque ne réussissait pas du premier coup, ils préféraient déguerpir.

Douglas se surprit à encourager son homologue comme un joueur de foot : « Allez Paul ! Vas-y ! » murmura-t-il entre ses dents.

Le militaire réussit à se dégager la jambe droite et, d'un mouvement sec, avec tout son poids, donna un coup de genoux dans les côtes du monstre. De cette manière, il réussit à le faire tomber sur le flanc. Ainsi dégagé, il se redressa et dirigea son arme sur l'ennemi.

La chose s'était elle-même relevée. Elle balança sa patte en avant, dans un mouvement circulaire, et décapita le jeune homme.

Douglas Ferry ne comprit pas tout de suite ce qui venait de se passer. Les cas de décapitations à mains nues par des mutants/extraterrestres/créatures des enfers (quelle que soit cette chose) n'étaient pas au programme de la formation de l'US Air Force. Il fallut plusieurs secondes à son cerveau pour assimiler l'information.

À l'instant, sous ses yeux, la tête de son ami Paul venait d'être emportée d'un coup de griffe et s'était mise à rouler dans le sable avant de s'immobiliser dix mètres plus loin.

Cette vision le tétanisa.

Il avait vu bien des horreurs dans sa carrière. Des crimes ignobles en Irak, en 91 ; des massacres à Srebrenica, en 95 ; mais des monstres, jamais.

Quand la chose noire prit son élan et escalada le portail pour pénétrer la base (arrachant au passage les fils barbelés comme de simples toiles d'araignée), il reprit finalement ses esprits. Se rappelant de sa mission, il se précipita sur le bouton d'alarme et l'écrasa de la paume de la main.

Aussitôt, la longue plainte stridente de la sirène d'urgence se mit à retentir sur le site.

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