Chapitre 27

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Après avoir marché un quart d'heure depuis le parking où ils avaient garé leur voiture, ils arrivèrent à la « plaine des amoureux maudits », située au départ de la chaîne montagneuse commençant au nord-ouest d'Indian Springs et entourant la base militaire sur tout son côté gauche.

L'endroit était un lieu touristique plutôt fréquenté au printemps et en automne, mais pas en été, à cause de la chaleur infernale. D'ailleurs, en ce milieu d'après-midi, John et Shirley étaient seuls sous le soleil de plomb qui faisait monter le mercure à presque cinquante degrés.

— Très bien, dit le détective, par où doit-on aller ?

Shirley tira plusieurs feuilles de la poche avant de son sac. Des plans de la zone, téléchargés sur Internet et sortis sur papier avec l'imprimante de l'hôtel. Elle les consulta puis observa autour d'elle. Enfin, elle leva le bras et désigna les collines à deux cents mètres.

— Par-là. Le sentier doit démarrer à cet endroit.

— Dans ce cas, allons-y.

Ils se mirent en route.

— Savez-vous pourquoi on l'appelle la « plaine des amoureux maudits » ? interrogea Shirley.

— Bah... J'ai pas mal bourlingué dans ma vie et il y a sur Terre plein d'endroits isolés et vaguement menaçants que les autochtones affublent de noms mystérieux destinés à faire peur. Ce sera une « forêt maléfique » par-ci, une « grotte diabolique » par-là. J'ai même vu une fois une vieille bicoque baptisée « l'antre de la mort noire ». Généralement, c'est lié à un fait divers local ou à une antique légende.

Évidemment, le privé avait compris que la question de sa cliente était uniquement rhétorique. Elle savait déjà l'origine de cette étrange appellation, qu'elle avait dû trouver sur le web. Elle cherchait juste à entamer la conversation.

Généreux, John accepta de dégoupiller le moulin à paroles qui bouillait à ses côtés.

— Et donc... Pourquoi ? demanda-t-il.

— Dans ce cas précis, c'est un fait divers. L'histoire belle et terrible de deux jeunes amoureux : Clayton Powell et Candice Fairley.

— Tadam !

— Hein ?

— Excusez-moi, mais vous commencez votre histoire comme une chronique télé, alors j'ajoutais un jingle.

— Très drôle. Ne vous moquez pas, c'est une déformation professionnelle.

— OK. Ne vous vexez pas. Je vous laisse poursuivre.

— Merci. Donc, début 1957, Clayton Powell a vingt-et-un ans. Il est noir, descendant d'une famille créole et vit à La Nouvelle-Orléans, alors en pleine ségrégation. C'est un jeune rebelle qui milite dans les associations de défense des Noirs. Ses héros sont Martin Luther King et Rosa Parks. Vous connaissez Rosa Parks ?

— Bien sûr. Dans les années cinquante, en signe de protestation contre les lois discriminatoires, elle refusa de céder sa place à un passager blanc dans le bus. Sa condamnation entraîna un mouvement de boycott des bus et lança le mouvement pour les droits civiques.

— Exact. De fait, rapidement, les lois instaurant la séparation entre Blancs et « personnes de couleur » seront abrogées. Cette décision aura une résonance extraordinaire chez les militants de tout le pays. Et, bien entendu, chez le jeune Clayton. En février 1957, il s'assoit à l'avant d'un bus de La Nouvelle-Orléans, comme l'homme libre qu'il pense être devenu.

Elle marqua un temps d'arrêt dans son récit pour laisser s'installer le suspense.

— Malheureusement, reprit-elle, si la loi avait changé, les mentalités n'avaient pas évolué. Lorsque le chauffeur lui demanda d'aller s'asseoir au fond, Clayton refusa fermement. Probablement se voyait-il devenir le nouveau héros du mouvement noir, condamné injustement au mépris de la loi, obligé d'ameuter avocats et journalistes pour défendre ses droits. Peut-être pensait-il même rencontrer le pasteur King, qui sait ?

Dévoré de l'intérieur [Terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant