Chapitre 14

11 3 0
                                    

« C'était il y a vingt ans. Peter et moi étions pensionnaires de l'orphelinat St Andrews. Deux ans auparavant, nos parents étaient morts dans un accident de voiture. Ça avait été un choc terrible. Je me rappelle encore l'officier de police venu nous apprendre la nouvelle. L'air malheureux qu'il avait. Qu'y a-t-il de pire que d'annoncer à des mômes que papa et maman ne rentreront plus jamais ?

Les services sociaux nous avaient donc placés là-bas.

Ce n'était pas un endroit sympathique. Certes, le cadre était agréable. Il s'agissait d'un ancien manoir réaménagé, qui avait gardé un peu du lustre d'antan. C'était assez joli...

Remarquez, je dis ça maintenant, mais je me souviens qu'à l'époque, quand j'y suis arrivé pour la première fois, le côté gothique m'avait impressionné ; et même fait peur. J'avais l'impression d'aller vivre chez Dracula !

Et en fait, il y avait un peu de ça. Le directeur – il s'appelait Bubanski – était un tyran. Pas juste sévère. Non. Il régnait d'une main de fer. J'avais douze ans et j'ai très mal vécu cette période. Peter aussi.

C'est à cette époque qu'il a commencé à se renfermer. Avant, il était un enfant débordant de vitalité, mais après le décès des parents et l'arrivée à l'orphelinat, il a changé. Il a semblé se perdre dans ses pensées pour toujours. Aujourd'hui encore, j'ai parfois l'impression qu'il n'est jamais vraiment avec nous. Il peut être très sociable, ce n'est pas le problème. Mais c'est juste une façade. Au fond de lui, il est toujours habité d'une perpétuelle mélancolie.

– On ne guérit jamais de ses blessures d'enfant, n'est-ce pas ?

_ Quoi qu'il en soit, nous étions donc à St Andrews depuis deux ans, quand un drame est survenu.

Voyez-vous, il y avait un arbre immense dans la cour de l'établissement. Absolument magnifique. La zone était sale et mal entretenue, la pelouse agonisait, vampirisée de toute part par les mauvaises herbes, mais au milieu de cette désolation, contre le mur de l'enceinte, se dressait, majestueux, un peuplier cottonwood de toute beauté.

Vous connaissez les cottonwoods ? Se sont des arbres gigantesques et superbes.

Et un jour, j'ignore pourquoi, Peter s'est mis en tête de grimper à son sommet.

Il m'a balancé ça comme ça : « Je vais grimper en haut. » Avant même que je n'aie pu dire quoi que se soit, il s'était élancé.

Je l'ai vu escalader le tronc avec une dextérité que je ne lui connaissais pas et, dans un premier temps, j'ai été impressionnée. Mais quand il a atteint une certaine hauteur, j'ai commencé à avoir peur.

Je lui ai hurlé de redescendre, mais il a refusé, bien sûr. Il s'est assis sur une branche et s'est mis à contempler la vue. De cet endroit élevé, il pouvait voir par-dessus le mur de la cour. L'orphelinat se trouvait en haut d'une colline, et en contrebas, on voyait la vallée et le centre-ville. Ce devait être magnifique, sauf que nous n'en profitions jamais, à cause des parois de briques grises qui enserraient le domaine et empêchaient de voir au-delà de ses limites.

Sur sa branche, pour la première fois depuis longtemps, j'ai vu mon frère sourire. Un vrai sourire de bonheur, venu du fond du cœur.

Il m'a dit : « Tu devrais monter. La vue est splendide d'ici. » Je lui ai demandé ce qu'il voyait. Il m'a répondu : « Les lumières de la ville. »

Puis il s'est penché vers moi et a tendu sa main. « Grimpe », m'a-t-il dit... et il a glissé.

Il a fait une chute de quatre mètres et s'est écrasé à mes pieds. Sa tête a heurté le sol et son sang a giclé. Il y avait une mare sous son crâne et...

Excusez-moi. Ce sont des souvenirs douloureux.

Enfin bref... Il a été à l'hôpital. Deux semaines plus tard, il était sorti d'affaire. Mais il a bien failli mourir.

Cette histoire m'a terriblement marquée. J'en rêve encore souvent la nuit. Si je ferme les yeux, je suis capable de revoir mentalement toute la scène, comme si ça venait de se produire. Aussi, quand il y a deux jours, il m'a parlé au téléphone d'aller « là où l'on voit les lumières de la ville », j'ai tout de suite compris à quoi il faisait référence. Mais dans quel but ? Ça, je l'ignore.

Voilà, vous savez tout maintenant.

À votre avis, quelles conclusions peut-on tirer de tout cela ? »



L'histoire complète est disponible en e-book et livre papier ici :

https://www.amazon.fr/D%C3%A9vor%C3%A9-lint%C3%A9rieur-Michel-Pelini-ebook/dp/B01LZS1NLV

Dévoré de l'intérieur [Terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant