Chapitre 25

15 2 0
                                    

L'unique bar d'Indian Springs ressemblait plus à un débarras qu'à un lieu susceptible d'accueillir du public. L'établissement n'avait même pas de nom.

Une fois de plus, la cité n'était faite que de mobil-homes posées sur la rocaille et entourés de haies en grillage.

Une grande lassitude envahit soudain Shirley. Il lui tardait de retrouver le monde moderne et de parler à des êtres civilisés.

Mauvaise pioche avec le bar-sans-nom, longue barre de ferraille usée, pourvue d'un auvent sous lequel on trouvait quelques tables d'un autre temps. Sur le petit terrain entourant la baraque, un vieux tracteur démembré finissait de rouiller.

Lorsqu'ils entrèrent, la porte vitrée couina douloureusement. À l'intérieur, la pénombre régnait. Les fenêtres étaient couvertes d'épaisses tentures pour éviter que les rayons brûlants du soleil ne pénètrent et ne transforment le bar en étuve. Quelques raies de lumière seulement éclairaient la pièce, augmentant le côté lugubre.

Le sol, couvert du sable extérieur, crissait sous leurs pas.

En entrant, la présentatrice fut saisie par le froid. L'air conditionné fonctionnait à fond. Le passage soudain de quarante à vingt degrés la tétanisa.

Quelques tables le long des fenêtres et un bar râpeux se devinaient dans le clair-obscur. Derrière le comptoir, une jeune fille qui ne semblait pas avoir plus de seize ans. Elle portait un t-shirt moulant et trop court ainsi qu'un mini-short en jean ; des fringues se voulant sexy mais qui étaient justes vulgaires. Sans compter que la pauvre avait un visage particulièrement ingrat au nez boursoufflé, un regard bovin et une bonne vingtaine de kilos en trop.

Pour être honnête, elle avait un peu l'air d'une demeurée.

Consanguinité, pensa Shirley, mais elle se garda bien de le dire à voix haute. Au contraire, elle s'adressa à la barmaid le plus poliment du monde.

— Bonjour, dit-elle, nous ne sommes pas du coin, juste de passage. Peut-on boire un verre ici ?

— Hein ? meugla la jeune fille.

— Boire un verre ? répéta Shirley en articulant.

— Ah, oui.

Elle les regarda bizarrement.

Si ça se trouve, nous sommes les premiers « étrangers » qu'elle voit de sa vie, songea la présentatrice. Puis, constatant qu'il n'y avait rien à attendre du côté de la serveuse, elle prit les devants.

— Peut-on s'asseoir là ?

— Ben... oui.

— Merci.

Elle s'installa avec John à une table suffisamment éclairée.

— Qu'est-ce que vous voulez ? mugit l'adolescente de l'autre côté du bar.

— Un Budweiser pour moi, répondit John.

— Un coca, enchaîna Shirley.

Le détective prit ses aises en se plaçant en travers de la banquette de cuir craquelé, une jambe sur le coussin et le dos contre la fenêtre. En le voyant, Shirley repensa à ce qu'il lui avait dit quelques jours plus tôt à Goodsprings : « J'ai grandi dans une ville comme celle-ci, vous savez ? » Soudain, il devenait évident qu'il était le genre d'homme parfaitement à sa place dans ce type d'endroit. Un lieu sale et désolé, peuplé (Shirley en était certaine) de paysans attardés, armés de winchesters et de Bibles (pour ceux qui savaient lire), prêts à s'en prendre à toute personne étrangère à leur communauté. Et au milieu : John P. Hayes, n'attendant qu'une anicroche pour dégainer son flingue et montrer qu'il en avait.

Dévoré de l'intérieur [Terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant