Chapitre 19

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Point de vue Shuichi

Un garçon est assis par terre, les genoux ramenés contre lui et la tête posée sur ses bras croisés. Ses épaules tressautent et de légers sanglots me parviennent. Je voudrais pouvoir m'approcher, ou du moins pouvoir lui demander ce qui ne va pas, mais j'en suis incapable. Et pour cause, je suis comme paralysé. J'ai l'impression de n'être rien de plus qu'un spectateur impuissant.

La scène change. Ce même enfant est allongé sur un lit blanc. Son visage est complètement flou de manière à ce que je sois incapable de distinguer ses traits.

Quelqu'un m'attrape alors le bras, me forçant à bouger, à m'éloigner. Mais pourquoi on ne l'aide pas lui ? Personne ne voit qu'il est mal au point ? J'aimerais crier mais j'ai la gorge serrée.

Le décor change une nouvelle fois. Deux adultes se tiennent face à moi. L'un d'entre eux a à la main une feuille qu'il range dans un grand classeur. Je n'ai que le temps de lire le titre avant qu'il ne le referme. "Droit à l'enregistrement". Sur l'avant, le chiffre 154 est inscrit.

Point de vue Kokichi

Pourquoi a-t-il fallu que j'accepte de me reposer en sa présence ? Pourquoi lui ai-je demandé de dormir avec moi ? Pourquoi ne pas le laisser partir tout simplement sans autre forme de procès ? Et pourquoi est-ce que le voir si distant de moi me gêne ? Je m'attendais à quoi ? Je suis le despote ultime, celui dont tout le monde se méfie. Celui qui inspire la haine. Car c'est mon rôle. Rôle que je laisse de plus en plus de côté ces derniers temps. Surtout en présence d'un certain détective.

En vérité, je mens. Encore. Je sais très bien ce qui m'arrive. Je l'ai compris depuis un bon moment maintenant. Mais je refuse tout simplement de me l'avouer. Car je suis totalement conscient que cela pourrait totalement ruiner mon plan. J'arrive bientôt à la finalité de ce jeu de la mort. Personne, pas même celui qui contrôle tout cela dans l'ombre, ne pourra prévoir ce qui va arriver. Je serai celui qui marquera le plus les esprits. On nous observe, cela ne fait aucun doute. Et ce public se délecte sûrement de notre situation. S'ils veulent du spectacle, du sensationnel, ils vont être servi.

Mais en attendant, j'ai besoin de me détacher du bleu. Au plus vite. Et ce n'est certainement pas en le laissant m'approcher comme je le fais actuellement que je vais y arriver. Lui, comme les autres, doit me vouer une haine profonde ou tout ce que j'ai mis en place ne servira à rien. Je vais devoir à nouveau mentir, non que cela ne me dérange. Après tout, j'y suis habitué. Et lui aussi. Il n'aura sûrement aucun mal à croire que tout ce que nous avons vécu ensemble ici n'était qu'un mythe. Je suis même sûr qu'à l'heure actuelle, il se demande ce qu'il fait à rester avec quelqu'un comme moi. Tant mieux pour moi. La tâche n'en sera que plus aisée.

Alors stupide cur, veux-tu bien arrêter de te mettre en travers de mon chemin ? Tu ne comprends pas que je n'ai pas le choix ? Tu ne comprends pas que tout espoir est vain ? Tu ne comprends pas que je suis voué à la solitude ?

Non, cet organe refuse d'entendre raison. Comme d'habitude. Quelle stupidité. Si je n'en avais pas besoin pour vivre, il y a longtemps que je l'aurais arraché hors de ma poitrine afin de me concentrer correctement. J'en ai besoin d'un point de vue physique mais en aucun cas d'un point de vue psychologique.

Tous ces sentiments sont inutiles. Ils ne servent qu'à me ralentir. Encore un peu et je deviendrais comme ces idiots qui croient en l'amitié, ce mot vide de sens. Ce mot qui fait plus de mal que de bien.

En fait, c'est bien pire que ça. Je n'ai pas de sentiments amicaux envers Saihara, mais amoureux. Et ça me tue à petit feu.

Point de vue Shuichi

Comment en sommes-nous arrivés là ?

Finalement, je me suis moi aussi assoupi un petit moment. Je me sentais bien tout simplement. Il me semble avoir fait un rêve étrange mais impossible de me souvenir de quoi que ce soit si ce n'est un profond sentiment de haine.

De toute façon, j'ai bien vite oublié tout ce que j'aurais pu voir dans le monde des songes à l'instant précis où j'ai ouvert les yeux. De toutes les situations possibles et imaginables, c'est bien la dernière à laquelle j'aurais pensé.

Alors qu'il était auparavant à l'autre bout du lit, Oma est désormais juste en face de moi, roulé en boule et les poings serrés.

Parfaitement réveillé à présent, je me redresse sur mes coudes. Si c'est encore une de ses blagues, je vais en entendre parler pendant très longtemps.

Mais non, le mauve se contente de frotter sa tête contre l'oreiller.

Pour la seconde fois, j'ai eu l'impression de voir un enfant. Ce qui est différent est que, aujourd'hui, il n'a pas fait de crise. Et c'est tant mieux, je ne veux plus jamais le voir dans cet état.

Sans que je sache pourquoi, je me recouche et l'observe. Ce n'est pas tous les jours que je peux apercevoir cette facette dont j'ignorais jusqu'à l'existence.

Son visage est complètement différent d'habitude. Relâché, il ne semble pas vouloir se moquer de quoi que ce soit. C'est plutôt le contraire. Il a même l'air triste. Ou résigné je ne saurais dire.

Soudain, je me rappelle que j'ai promis à Momota de le rejoindre ce soir. Et si je lui fausse encore compagnie, je sens que je vais en entendre parler.

Presque à regret, je me relève et prenant soin de recouvrir le petit despote de la couverture. Il fronce les sourcils et marmonne quelque chose d'inintelligible avant de se retourner.

Je sors en douceur de la chambre.

Point de vue Kaito

- Il a encore oublié.

Je me tourne vers la brune qui affiche un air ennuyé.

- Il faudrait vraiment qu'il arrête de s'approcher de ce Oma, elle continue. Je ne le sens pas du tout.

Si tu savais. Je me force à prendre un air enjoué.

- Il viendra j'en suis sûr.

- Comme hier ? Et avant hier aussi ? Désolée mais je n'y crois plus. Je vais rentrer et tu devrais faire pareil.

Je la regarde s'éloigner.

Le problème est qu'elle a totalement raison : la proximité de ces deux-là pourrait tout faire rater. Et il en est hors de question. Pas après tout ce que nous avons mis en place.

Un bruit attire mon attention. Je relève la tête, alerte.

- Pardon, je n'ai pas vu l'heure passer.

Le bleu halète, comme s'il venait de courir, ce qui est très certainement le cas.

J'affiche un large sourire, digne du rugissant de l'espace que je suis.

- Ne t'inquiète pas pour ça. Qu'est ce qui a bien pu te faire perdre la tête à ce point ?

Le détective rougit.

- Je... Je me suis endormi.

- Tu n'étais pas censé travailler avec Oma ?

- Heu... Si... C'est compliqué à expliquer.

Tout en parlant, nous nous asseyons à terre.

- Comment ça se passe avec lui ? Il ne te fait pas trop perdre ton temps ?

Il rigole nerveusement.

- Il n'est pas comme vous le pensez...

- On parle de Oma. Personne ne sait qui il est vraiment.

- Non. Ce que je veux dire c'est qu'il n'est pas si terrible. Ça reste un menteur mais je me demande parfois, s'il aime vraiment ce jeu.

- Bien sûr que oui. Tu l'as entendu.

- Et si ce n'était qu'un mensonge ?

Le bleu inspire comme pour se donner du courage.

- En vérité, j'aimerais apprendre à mieux le connaître.

La situation est très grave.

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