Chapitre Deux - Doux comme un agneau

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Alors que le ciel se peignait de teintes pastelles et que Nyame se faisait insistante dans le ciel, le brouhaha du marché nomade résonnait encore avec force dans le désert. Des centaines de personnes s'affairaient autour d'étals de fruits, de légumes, de viandes, de poissons, de laine et de bois. Des odeurs de viandes cuites et de ragoûts savoureux embaumaient l'air. Des forgerons réparaient les dernières commandes. Les conteuses d'histoires chassaient les enfants trop insistants. Les couleurs flamboyantes des ombrelles se mélangeaient à celles des turbans.

Jahia et Abayo préparaient leurs montures. La jeune fille gratifia son dromadaire d'une claque affectueuse pour le sortir de sa léthargie.

- On se réveille, Malàk, lui dit-elle à l'oreille en l'enfourchant. Gros feignant.

Abayo finit de charger leurs victuailles sur les deux ânes qui les accompagnaient pour le transport et s'assit confortablement sur son dromadaire. C'était un grand homme, musclé, et son assurance apparente trahissait un long passé dans son métier. Ils traversèrent ce qu'il restait du bazaar, alors que les marchands rangeaient leurs établis et comptaient les pièces ou les invendus. Un homme d'âge mûr, vêtu d'une longue robe rayée et coiffé d'un turban clair, leur adressa un signe de main. Il se courba lorsqu'ils arrivèrent à sa hauteur.

- Faites bon voyage, amis Ewes. Que Suhra soit clémente avec vous.

Isham était le dirigeant de cette caravane marchande. Ils achetaient en masse lors de leurs séjours à Xwula et Ibo, les deux seules villes immobiles des Terres de Shoara, puis parcouraient le désert et les Terres Arides pour ravitailler les tribus nomades, se faisant une bonne marge au passage. Abayo et Jahia avait l'habitude de marchander avec eux pour la tribu. Ils faisaient affaire au moins deux fois par an, et cette collaboration avait commencé avant même l'arrivée de Jahia chez les Ewes. C'était probablement l'accord commercial le plus vieux de l'histoire de la tribu.

- Merci, vieil ami. Bon courage pour déplacer tout cela vers votre prochain arrêt. Qui espères-tu être tes prochains clients ? Répondit Abayo d'une voix aimable.

Il affichait une mine bienveillante et un sourire qui inspirait confiance et faisait fondre les femmes, malgré son âge avancé. Abayo n'était plus tout jeune, mais son charisme ne vieillissait pas. Cependant Jahia pouvait voir l'étincelle de malice et de calcul luire dans ses yeux. Abayo n'avait plus vraiment de secret pour elle, lui qui l'avait accueillie et élevée pendant près de 15 ans.

- Nous redescendons vers le sud. À cette période de l'année, nous devrions trouver les Minas à l'oasis KatiKati, puis les Adjas sur notre chemin du retour vers Ibo. J'ai entendu dire que les Adjas manquait de sel, et ils sont encore loin de Xwula. Je tirerais sûrement un bon prix de mes stocks.

Jahia fut parcouru d'un frisson involontaire. Les Minas. Cela faisait une éternité qu'elle n'en avait pas croisé, et bien longtemps qu'elle se sentait chez elle chez les Ewes. Mais le nom de sa tribu natale lui provoquait toujours un haut-le-cœur. Personne dans sa tribu adoptive ne connaissait exactement ses origines. Le jour de son secours, trois tribus marchaient ou se reposaient dans la zone. Mais Jahia était convaincue qu'Abayo savait. De par les réactions de la jeune fille depuis petite lorsqu'on évoquait les Minas, subtiles mais présentes. De par son éducation, également. Les Minas sont connus pour avoir construit une société à forte tendance patriarcale, et cela s'était ressenti dans la façon dont Jahia interagissait avec le monde. Abayo connaissait peu cette tribu, les Ewes n'avaient pas d'affaire avec eux, donc aucune raison d'y envoyer leurs représentants diplomatiques. Il avait cependant eu l'occasion de les rencontrer deux fois dans sa carrière, et lors de la seconde, Jahia avait déjà pour habitude de l'accompagner dans tous ses déplacements. Du haut de ses 14 ans, elle s'était préparée mentalement à affronter son passé. Pourtant, cette fois-là, Abayo ne l'avait pas emmenée. « J'apprécie ton intérêt pour la diplomatie, et Ambe est très satisfaite de tes progrès en art martial. Mais tu dois aussi te concentrer sur tes études. », avait-il alors évoqué comme raison. Jahia avait alors su qu'il savait.

Coeur Nomade T1 : Le Mystère des Ruines de TeliOù les histoires vivent. Découvrez maintenant