Seize ans plus tôt
Les Ewes avaient attendus un soir de pleine lune. La cérémonie prit place en fin de journée, alors qu'Alsham se retirait dans des couleurs dorés, et qu'une Nyame pleine brillait plus fort dans le ciel. Cheyma avait expliqué qu'ainsi, les deux astres assisteraient à la renaissance de Jahia.
- Tu seras toujours liée aux Dieux Parents, avait-elle dit d'une voix douce et aimante. Eux, savent ce que c'est que de renaître. C'est quelque chose de précieux que tu partageras avec eux toute ta vie.
Le visage de Jahia, ainsi que ses bras et ses jambes, avaient été peints de jaune, de blanc et de rouge. Les trois couleurs représentaient la bénédiction des astres divins et des Ewes. Au dehors de la tente, des tambours rythmaient déjà la soirée. Les chants anciens parcouraient le campement, emportés par le vent et une chaleur doucereuse caressait la peau de Jahia par vague. Entourée d'Abayo et Cheyma, la petite fille quitta la tente familière pour se mêler aux hululements.
Très vite, une foule dense, mouvante et hurlante l'encerclait. Jahia agrippa plus fort les deux mains qui la serraient tendrement. Cheyma lui avait expliqué que les cris et la musique étaient là pour l'accueillir. Mais cette agitation disproportionnée effrayait l'enfant. La chaleur et la lumière se faisaient plus fortes tandis qu'Abayo guidait sa petite famille au travers de l'audience fiévreuse. Quand la foule se dissipa enfin, Jahia eut un mouvement de recul en apercevant un gigantesque brasier flamboyer à quelques pas d'elle. Elle retint un cri d'effroi et Abayo, lui, étouffa un grincement de douleur. Il s'abaissa à la hauteur de Jahia et lui offrit un sourire réconfortant tout en l'exhortant à desserrer son emprise sur ses doigts. Bien qu'elle restait droite et fière, le regard affolé de Jahia en disait long sur son angoisse. Mama avait toujours dit de ne pas s'approcher du feu. Que Hariq était un esprit malin et fourbe. Et jusqu'à ce jour, elle n'avait jamais vu l'œuvre de la divinité de si près. Abayo tourna le visage de la petite fille vers lui et plongea son regard doux et franc dans le sien.
- Hariq n'est pas à craindre, Jahia. Il est fougueux et indomptable, certes. Mais regarde, dit-il avec un geste vers le bûcher ardent. Il n'est pas foncièrement mauvais. Il ne nous attaque pas, il nous éclaire. Il ne nous brûle pas, il nous réchauffe.
Cheyma prit la parole à son tour avec sa voix frêle. Jahia l'entendait à peine au milieu des chants, des percussions et des bavardages.
- Le monde est complexe, mon petit fennec, et les divinités ne font pas exception. Il faut savoir vivre avec leurs risques et accepter leurs cadeaux.
La petite fille hocha la tête. Il y avait-il du bon et du mauvais dans toute expérience comme semblait le penser Grand-Mère ? Son abandon en terres arides était-il moins mauvais car il lui avait permis de rencontrer deux personnes aimantes ? Abayo tint fermement l'enfant en montant les marches bancales de l'estrade montée devant le brasier. La bête avait-elle aussi du bon ? Jahia en doutait. Les yeux prédateurs refirent son apparition dans son imaginaire. Jahia se crispa. Ce n'était pas le moment.
Elle tenta de se raccrocher au moment présent. La chaleur des flammes effleurait son dos par intermittence, le vent doux du soir rafraichissait son visage ; et là-bas, à l'horizon, le soleil se fondait dans les dunes. Les acclamations la tirèrent de sa contemplation. D'innombrables silhouettes lui faisaient face. Jahia fut d'abord intimidée, mais elle observa leurs visages. Maquillés et percés de bijoux, tous souriaient et chantaient. Pour elle. C'était une attention non sollicitée, mais étrangement bienvenue. Un chamane s'approcha d'elle. Elle pouvait le reconnaître car il était vêtu étrangement, comme celui des Minas. Ses vêtements rougeoyaient de couleurs chaudes et sa tête était surmontée d'un crâne d'antilope. Il était effrayant, mais moins que les hommes masqués. A ces côtés, un homme se tenait debout, immobile. Il rayonnait d'une force tranquille, et ses petits yeux perçants détaillait la petite fille. Jahia reconnu le Kiongozi. Le chamane se mit à réciter des prières et conter des mythes et des légendes. Les Dieux Parents, les Dieux Enfants et les Premiers Hommes prirent formes au son de sa voix rocailleuse. Après les instants de prières, il se tourna vers l'enfant et prononça son nom.
- Enfant perdue, commença-t-il tandis que le calme tombait pour la première fois de la soirée sur l'assemblée. Tu nous es venue, tu n'étais personne. Avec l'accord des Dieux, la tribu Ewe choisit de t'accueillir dans son sein. Enfant perdue, tu es désormais enfant Ewe, Jahia O'Nyambe. Que les Dieux veillent sur tes pas.
Une vague de clameurs s'éleva de l'audience en liesse. Les chants et les danses reprirent de plus belles. Et face à cette foule qui l'acclamait, pour la première fois depuis longtemps, Jahia se sentit puissante. En cet instant, elle se sentit capable de surmonter n'importe quelle épreuve. Alors, tandis que les yeux jaunes rôdaient toujours en arrière-plan, Jahia fit une promesse. Elle adressa cette promesse à elle-même, à Mama, à Babu, à cette tribu qui l'avait abandonnée. Elle reviendrait sur les lieux, un jour. Elle reviendrait aux Ruines de Teli, elle retrouverait la bête... et elle la tuerait.
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Coeur Nomade T1 : Le Mystère des Ruines de Teli
FantasíaAprès un événement inexplicable et lourd de conséquences dans son enfance, Jahia a grandi pour devenir une jeune femme intrépide et prometteuse de la tribu Ewe. Toujours accompagnée de ses deux fidèles amis, Peyam et Zuri, la jeune guerrière se...