Chapitre Treize - Les porteuses d'espoir

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Dix-sept ans plus tôt


Jahia ouvrit difficilement ses yeux secs aux cils entremêlés. Elle releva la tête et, désorientée, contempla son environnement.

Des étendues infinies de terres sèches cuisaient sous un soleil de plomb. La peau de Jahia était moite de sueur. La petite fille déglutit avec difficulté, et passa sa langue sur ses lèvres craquelées. Elle avait l'impression que sa langue était un bâton de bois. Elle avait soif. Elle se leva et tourna sur elle-même. Rien. De la terre, de la terre, trois brins d'herbe jaune, et encore de la terre. Stupéfaite, elle réalisa avec affolement que la tribu l'avait abandonnée là. Aussi désespérée se sentait-elle, Jahia n'avait plus ni la force ni l'émotion pour pleurer. Elle se sentait vide... et condamnée. Dans le lointain, elle apercevait toujours le Mont Kimungu. C'était son seul repère, alors Jahia se mit à marcher sans réfléchir. Elle s'interdit de penser, et se concentra sur la simple action de mettre un pied devant l'autre. À chaque pas, ses pieds nus soulevaient une poussière épaisse qui se dispersait au même rythme que son énergie.

Elle marcha plusieurs heures. Ses yeux piquaient, irrités par le manque d'eau et la poussière volatile. Ses pieds lui faisaient mal. Avec une pointe d'espoir, Jahia distingua un rare baobab à l'horizon. Épuisée, elle s'efforça de marcher encore jusqu'à l'arbre et se laissa glisser contre le tronc. Elle ferma les yeux, s'interdisant de s'endormir, mais avide d'un peu de repos. Ses membres se relâchèrent et s'engourdirent. Les évènements passaient en boucle dans sa tête. Inlassablement, les yeux jaunes du monstre la hantaient. Atime. Les ruines. Elle revit le visage attristé de sa mère, puis les gestes fous du chamane. Les Dieux lui avaient-ils vraiment parlé ? Avaient-ils ordonné son abandon ? Je serais avec toi. Et Sama', la déesse de la vie, également. Puisse-t-elle veiller sur toi durant cette épreuve. La douce voix de sa mère résonna sous les paupières agitées de Jahia. Sama' n'avait pas bougé le petit doigt.

Quelque chose tomba délicatement sur la tête de l'enfant, et elle rouvrit péniblement les yeux ; réalisant qu'elle s'était finalement assoupie. En levant la tête, l'enfant écarquilla les yeux devant la vision qui s'offrait à elle. Une girafe, gigantesque, se tenait juste devant elle, s'élevant vers le ciel, la tête dans les feuillages.

- Sama' ? Chuchota la petite fille d'une voix cassée.

Mama et Babu disaient que les girafes étaient des animaux sacrés, et qu'il ne fallait jamais leur faire du mal. Il était dit que parce que leurs têtes côtoyaient le ciel, elles étaient bénites par la déesse de la vie ; et en croiser une portait bonheur. La petite fille rassembla ses forces pour se tenir à nouveau sur ses deux jambes tremblantes. Elle approcha doucement de l'animal, effrayée et fascinée à la fois. Une pointe d'espoir, irrationnelle, se ralluma dans sa poitrine. La girafe ne sembla pas la remarquer. Jahia sursauta. L'animal sacré n'était pas seul... elle se promenait avec son petit. Petit...le girafon était pourtant toujours plus grand qu'elle ; la petite fille faisait la taille de ses pattes. Jahia passa discrètement entre les hautes pattes de la girafe femelle pour caresser le petit. Son pelage était doux et beau. La petite fille s'émerveilla malgré les circonstances.

- Tu as de la chance, dit-elle tristement. Ta maman est là, toi.

À ces mots, la grande girafe baissa lentement la tête vers Jahia, la mâchoire se mouvant doucement en mâchant les feuilles à cinq branches. Jahia eut un mouvement de recul, un peu craintive. Puis l'animal poussa la petite fille du bout du museau, tout en douceur, vers son petit. Jahia, d'abord hésitante, se hissa sur le dos du girafon, non sans difficulté. Elle eut peur d'avoir mal interprété le geste de la girafe et de la mettre en colère, mais celle-ci conserva son expression de profonde sérénité. La maman girafe refit un aller-retour entre la cime du baobab, et les deux 'enfants' à terre. Elle tendit une bouchée de feuilles au girafon, qui tira dessus. Jahia se pencha pour en attraper une, se demandant si elle pouvait aussi les manger. Elle avait faim, et par-dessus tout, elle était assoiffée. Elle croqua une partie de la grande feuille ; mais recracha aussitôt. Ça pique. Déçue, Jahia se coucha simplement sur le long cou du girafon. Quand les deux girafes reprirent la route, Jahia ne bougea pas d'un pouce. Elle remit son destin entièrement entre les mains de ces deux animaux, peut-être envoyés par Sama'... Ou simplement là par hasard.

Coeur Nomade T1 : Le Mystère des Ruines de TeliOù les histoires vivent. Découvrez maintenant