Chapitre Vingt-quatre - Une mauvaise nouvelle à la fois

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Les lourds sacs pendants aux flancs de l'animal rythmaient le voyage de bruits étouffés réguliers. Les premières heures passèrent en un clin d'œil, tant la jeune protectrice avait à penser. Les doigts serrés sur les rênes en cuir, son corps était crispé d'appréhension et d'anticipation sans même qu'elle le réalise. Elle fut sortie de son monde intérieur par une violente bourrasque qui souleva une marée de sable. Prise au dépourvu, Jahia toussa en essayant de se débarrasser des grains de sables dans sa bouche. Frottant ses yeux ensablés, elle releva sa melafah - une grande tenue voilée qui l'enveloppait de la tête au pied - sur le bas de son visage, couvrant son nez et sa bouche, et enroula un foulard clair en un turban noué à la va-vite. Le soleil aussi taperait bientôt plus fort. Elle se sermonna intérieurement ; elle aurait dû être plus attentive aux signes avant-coureurs du vent qui se levait doucement. Elle avait la tête ailleurs, et ce n'était pas bon. Son esprit divaguait vers des souvenirs d'enfance, des regrets, des projections de vie avec Esraa, des doutes, des envies, et l'appréhension d'arriver au campement Mina. Elle avait peur que quelqu'un la reconnaisse. Peur de devoir être ouvertement confrontée à son sombre passé. Et si sa mère ou son grand-père la reconnaissait ? Pire encore... s'ils la voyaient, et ne lui prêtaient aucune attention ? Elle avait pourtant tout prévu. Elle ferait le nécessaire pour ne pas être reconnaissable. De toute façon, dix-sept ans s'étaient écoulés, et elle ne ressemblait plus en aucun cas à l'enfant abandonnée en Terres Arides. Cette fois-là, asséchée et assoiffée, elle était comme morte. Elle était morte en tant que Jahia Milla, et avait renaquit en tant que Jahia O'Nyambe chez les Ewes, quelques semaines plus tard. Elle prit une inspiration profonde et souffla longuement, évacuant ses inquiétudes. Comme s'il sentait ses tensions, Malàk lâcha un blatèrement sonore. Jahia rit au son disgracieux et fouilla dans l'un des sacs. Elle tendit une feuille d'aloe vera à son compagnon de route, et récupéra une main collante de bave. S'essuyant sur sa melafah, elle s'autorisa ensuite de longues gorgées d'eau. Elle étala ensuite sa carte sur le cou touffu de Malàk. Il lui restait encore un bon bout de chemin avant d'être confrontée aux Minas. Elle regarda aux alentours, redécouvrant le paysage après d'interminables heures renfermées sur elle-même. Les dunes avaient fait place à de grandes étendues grises. Le sable n'était plus que poussière ; elle foulait désormais les Terres Arides.

Le voyage se prolongea. Après deux nuits en terres arides, Jahia était censée trouver les Minas au puit du milieu. Mais aucune tente à l'horizon. Elle examina le planisphère et plissa les yeux pour distinguer les détails. Un autre puit était indiqué à plusieurs kilomètres de là. Elle poursuivit son chemin dans la même direction, caressant nerveusement les poils drus de Malàk. Peut-être était-elle en retard, ou peut-être étaient-ils en avance. Les itinéraires nomades convenus étaient de plus en plus soumis aux éléments et variaient régulièrement de quelques jours.

Après une journée et une nuit supplémentaire en terres arides, Jahia finit par apercevoir le campement dans le lointain. Les Minas avaient établi leur camp autour des seules manifestations de vie au milieu de ces terres désolées. Quelques arbres s'élevaient tant bien que mal vers le ciel, mais les feuilles des baobabs tremblaient mollement et manquaient de se détacher à chaque souffle de vent chaud. La terre sèche était recouverte d'une mince pelouse jaunie parsemée de touffes de végétation mourantes. Les arbres permettaient à la tribu de trouver un peu d'ombre et d'apprécier le chant des oiseaux ; mais il n'y avait pas la moindre trace d'eau. Le puit le plus proches de cette localisation était encore à plusieurs kilomètres de marche, les Minas faisaient probablement une brève halte pour reprendre leurs forces. Jahia se dit qu'elle avait eu de la chance de les rattraper avant leur prochain départ.

- On va faire un petit détour, dit-elle en s'adressant au camélidé.

Elle se dirigea à l'aide de la boussole pour trouver le minuscule oasis indiqué sur la carte. Arrivée sur place, elle constata sans trop de surprise, que c'en n'était pas vraiment un. Deux pauvres palmiers fatigués se courbaient péniblement pour offrir un peu d'ombre. S'il y avait eu autrefois une petite source d'eau, il n'y avait désormais que de la terre craquelée. Craquelée. Comme les Terres Marbrées. Cela n'annonçait rien de bon. Shoara finira-t-elle entièrement asséchée ? Ces terres autrefois arides mais vivables, même fertiles, se craquelaient sous l'effet de la sècheresse qui ne faisait qu'empirer depuis dix ans. Jahia chassa ce mauvais présage de son esprit. Une mauvaise nouvelle à la fois. Visiter les Minas était amplement suffisant. Elle descendit de sa monture et déchargea Malàk avant de l'abreuver. Assise en tailleur à l'ombre des arbres fourbus, elle sortit d'abord une bolée de riz froid compact, deux tranches de viandes de mouton séchées et quelques dattes. Elle fut tentée de déguster le fromage fondant d'Esraa ; mais décida de le conserver pour après. Ce sera soit le repas d'une victoire, soit une consolation. Après ce petit festin mangé à même le sol poussiéreux, elle sortit une boîte ronde taillée dans le bois et souleva son couvercle pour révéler une bouillie blanche. Jahia tint d'une main un petit miroir fissuré, acheté à une caravane marchande revenant tout droit d'Ibo. Il y avait plusieurs façons de se peindre le visage chez les Ewes. Elle choisit de reproduire la première qu'elle eut connu. Jahia trempa deux doigts dans la peinture laiteuse et traça les symboles si familiers. Cette tradition se faisait habituellement en rouge, mais Jahia se contenterait du blanc cette fois. La couleur se prêtait d'avantage au message pacifique qu'elle devait porter. Elle craignait de rebuter les Minas si elle arrivait peinte d'un rouge sang. Elle partit donc du front, pour favoriser la vivacité de l'esprit, et esquissa une épaisse ligne droite comme Teme, qui traversa son visage de bout en bout, jusqu'à venir s'évanouir dans son cou. Elle fit de même de ses épaules et le long de ses bras, pour l'agilité et la force. Puis avec ce qui restait de pâtes ivoire sur ses doigts, elle ébaucha trois points larges sous ses yeux, pour voir les intentions profondes, au-delà des visages et des paroles. Elle essuya ses doigts dans un chiffon et s'observa longuement dans le miroir.

- Tu as bien grandi, Jahia Milla. Tu as bien changé.

Ce nom sonnait étrangement dans sa bouche. Il avait un goût amère et était engourdi par des années de silence. Elle poussa un soupir trop court. Son souffle était coincé dans sa cage thoracique, agrippé par les griffes qui ne voulaient rien lâcher.

- Non, ne t'inquiète pas. Ils ne te reconnaîtront pas, se rassura-t-elle à demie-voix.

Sur ce, la jeune fille rangea ses affaires et reprit la route en s'encourageant mentalement. Ça va aller, ça va aller, ça va aller.


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PS : Petite annonce

J'ai décider d'alimenter un peu plus mon compte Instagram d'auteure (qui, à la base, était un compte de photo ahahah. Vive le recyclage !). 

Je vais y poster des infos et des updates sur l'écriture de Coeur Nomade et la construction de l'univers et des personnages :) N'hésitez pas à venir jeter un oeil ! Je serais ravie d'échanger en commentaires avec vous. 

J'en profite aussi pour vous remercier, mes lecteurs, ceux qui suivent les aventures de Jahia, votent, commentent... Le nombre de lectures & de votes sur Wattpad grandit à vue d'oeil et ça fait vraiment plaisir ! Ma partie préférée reste bien sûr vos commentaires, toujours aussi bienveillants et encourageants <3 donc M E R CI  ! Et à bientôt :D

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Coeur Nomade T1 : Le Mystère des Ruines de TeliOù les histoires vivent. Découvrez maintenant