Chapitre Vingt-huit - La femme de feu

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En fin de matinée, Abayo la conduisit en marge du campement. Là où les tentes se faisaient plus rares pour faire place à la terre poussiéreuses et aux cactus, s'élevaient aussi des bonhommes de pailles et de bois. La femme de feu était là, elle s'adressait avec de grands gestes et des éclats de voix, à une petite foule d'enfants du même âge que Jahia. La femme de feu semblait en colère. Certains enfants baissaient la tête et il y en avait même un qui pleurait en silence. Le regard de Jahia fut attirée par la concentration imperturbable d'une petite fille qui bandait tranquillement son arc pendant que la femme de feu vociférait. La fille était beaucoup plus petite que les autres, mais ne semblait pas dérangée le moins du monde par le bruit environnant. Abayo lâcha la main de Jahia une minute le temps d'adresser un salut à Ambe et à la ribambelle d'enfants effrayés. Jahia l'imita, pressée de retrouver la pression réconfortante de sa main.

- Bon, déguerpissez maintenant, invectiva Ambe en s'adressant à ses élèves. Et apprenez à retenir vos larmes pour la prochaine fois, je ne forme pas les oryx peureux !

Jahia se glissa derrière le coton volatile du pantalon d'Abayo. La femme de feu semblait bien moins commode qu'à leur dernière rencontre. Etonnamment, son caractère bouillant semblait amuser Abayo.

- Quand vas-tu cesser de terroriser tes apprentis ?

- Quand ils n'auront plus peur de moi, dit-elle avec un haussement d'épaule.

Elle se baissa soudainement à la hauteur de Jahia, et posa un genoux dans la poussière.

- Tu as peur de moi, toi ?

Jahia ne répondit pas. Elle resta caché derrière Abayo, en fixant la femme de feu de ses grands yeux. Ambe fit la moue.

- Si tu te caches, c'est que tu as peur. Sors de là.

Jahia serra plus fort la main d'Abayo, agrippa les pans de son pantalon en fronçant les sourcils. Elle ne voulait plus y aller. Elle leva un regard implorant vers le grand homme. Celui-ci lui adressa un sourire tendre, mais ne répondit pas à sa supplique silencieuse. Il s'écarta un peu, mais Jahia suivit le mouvement sans lâcher le tissu. Abayo s'accroupit à sa hauteur.

- Tu te souviens de ce que je t'ai dit, Jahia ? J'ai dit que personne ne t'abandonnera. Donc je reviendrais, c'est promis. Je te laisse avec une personne de confiance. Tu verras, Ambe n'est pas aussi effrayante qu'elle n'y paraît.

- Eh. Ça demande des efforts de maintenir ma réputation de terreur. Je te serais reconnaissante de ne pas la détruire en quelques phrases, râla la femme de feu, les bras croisés sur la poitrine.

Abayo posa un baiser tendre sur le front de l'enfant et quitta le terrain d'entraînement. Jahia regarda sa silhouette s'éloigner et disparaître entre les tentes. Elle fixa son regard là où il avait disparu et refusa de tourner la tête.

- Bon, à ce qu'on m'a dit, tu ne parles pas, commença Ambe de sa même voix forte.

Jahia s'interdit de détourner le regard.

- Ça m'est bien égal. Tant que tu m'écoutes.

L'enfant resta immobile.

- ... et frappes.

Ambe fit quelques pas pour se placer dans son champ de vision. Les larges cuisses musclées cachaient désormais le campement Ewe.

- Et me regarde, ajouta-t-elle d'une voix menaçante.

Jahia leva les yeux vers le visage couvert de cicatrices. Finalement, elle ne l'aimait pas. Pas du tout. Jahia offrit à la femme de feu un visage renfermé et des lèvres crispées en une ligne droite.

- Très bien ! Garde tes sourires pour Abayo. J'en veux pas ! Ce que je veux, c'est que tu apprennes. C'est compris ?

Jahia ne hocha pas la tête pour indiquer qu'elle avait entendu, mais Ambe continua comme si c'était le cas. Elle plia les genoux, écarta un peu les pieds, orteils tournés vers l'extérieur, et commença la leçon.

- Tu dois avoir les pieds fermement ancrés dans le sol. Tu dois être grande et forte, enracinée dans la terre comme un baobab. Essaie.

Jahia s'y refusa. Elle fixa la femme de feu avec des yeux noirs pleins de mauvaise volonté. Ambe répondit à son regard de défi. Elle la poussa du plat de la main, d'abord doucement.

- Tu vacilles. Fais comme je t'ai dit, et tu verras que tu résisteras mieux.

Sans attendre, elle la poussa à nouveau plus fortement. Jahia tomba mollement sur les fesses.

- Tu vois ?

La femme de feu croisa à nouveau les bras sur sa poitrine généreuse, et défia l'enfant du regard. Jahia se releva sans pour autant obtempérer. Ambe leva un sourcil.

- Je ne suis pas comme Abayo. Je sais que tu n'es pas en porcelaine. J'ai fait une promesse au Kiongozi, et à toute la tribu Ewe ; alors je la tiendrais, même si je dois te secouer un peu.

Elle planta son regard d'acier dans le sien et laissa ses paroles faire effet.

- Maintenant, réagis, ou ça va faire mal.

Sans attendre une seconde de plus, Ambe se pencha sur sa jambe gauche pour lancer son pied droit dans la direction de l'enfant. Surprise, Jahia écarquilla les yeux en voyant le coup menaçant se rapprocher de son visage. Elle se baissa vivement pour éviter le pied, mais perdit l'équilibre et s'étala au sol. Jahia foudroyant son assaillante du regard. Elle se releva aussitôt et fit trois pas pour donner un coup de pied irrité dans les jambes de la femme de feu. Ambe éclata d'un rire puissant et ne s'arrêta pas avant plusieurs minutes.

- Tu as du caractère, petite inconnue, dit-elle en essuyant les larmes qui s'étaient échappées de ses yeux. Tu as de bons réflexes. Mais ils ne te seront d'aucune utilité si tu te vautres ensuite.

Elle s'accroupit pour faire face à l'enfant.

- Apprend avec moi. Sois patiente, et je ferais de toi une vraie guerrière.

Elle tendit le doigt vers la cicatrice qui zébrait le petit menton de Jahia.

- Tu seras même assez forte pour rendre la monnaie de leur pièces à ceux qui t'ont fait ça et t'ont laissé pour morte. Qu'en dis-tu ?

Trop fière pour hocher gentiment la tête ou sourire - des cadeaux réservés à Abayo et Cheyma - Jahia imita simplement la position évoquée par Ambe. Genoux pliés, les pieds fermement ancrés dans le sol, elle attendit les prochaines instructions. La jeune femme aux impressionnants cheveux leva les poings en avant et continua la leçon. Elle entraîna Jahia à esquiver et contrer les attaques. Elle la cribla de coup de poings jusqu'à ce qu'elle puisse tous les arrêter avec facilité. Elle la fit tenir sur un pied pendant plusieurs dizaines de minutes pour améliorer son équilibre et la força à recommencer à chaque fois qu'elle vacillait. Jahia fatiguait et ses pieds nus commençait à la faire souffrir, mais elle se refusa à abandonner. Elle travailla d'arrache-pied pendant près de trois heures, jusqu'à voir Abayo approcher de loin. Elle sourit et couru à sa rencontre ; Abayo la souleva joyeusement dans ses bras. Il adressa un hochement de tête de gratitude à Ambe.

- Plus terrorisée, alors ?

Ambe sourit.

- Jahia est têtue comme un chameau. Mais elle a du potentiel.

Un rire cristallin s'échappa de la gorge de la petite fille. Abayo écarquilla des yeux surpris. Quand ils retournèrent à la tente, ce fut la première chose qu'il dit à Cheyma. Les deux Protecteurs Ewes passèrent la soirée à essayer de faire rire Jahia à nouveau.


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Salut, toi ! Merci de m'avoir lue ! J'espère que ce chapitre t'a plu. Que cela soit le cas ou pas, n'hésite surtout pas à laisser un petit commentaire pour me dire ce que tu en as pensé ! ça m'aidera à m'améliorer :D

Coeur Nomade T1 : Le Mystère des Ruines de TeliOù les histoires vivent. Découvrez maintenant