Chapitre Trente-Quatre - Rompre le lien

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Jahia était contrariée de devoir revoir Esraa aussi tôt. Et surtout, de devoir aller à lui et non l'inverse. Elle prévoyait de l'éviter quelques jours de plus, et espérait qu'il se mordait les doigts d'avoir pu lui parler ainsi. Mais elle devait partir dans deux jours, avec Wëya. Il était donc temps de rendre Malàk à la tribu. Rênes en main, elle menait le dromadaire à l'enclot de bétail dédié aux bêtes de monte. Elle savoura le silence placide des matinées du désert et le vent encore tiède. Jahia fut soulagée de découvrir qu'Esraa n'était pas à l'enclot. Peut-être était-il allé chercher du matériel, de l'eau ou du foin... Elle en profita pour y faire rentrer Malàk et faire ses adieux en toute intimité.

- Ce n'est qu'un au revoir, dit-elle d'une voix enrouée, alors qu'elle défaisait les mors du dromadaire. Tu vas me manquer, vieux feignant.

Elle lui tendit une feuille d'aloe vera en guise de cadeau d'adieu. Le camélidé croqua joyeusement dans sa main.

- Tu t'en fiches toi, hein ? Vas-tu seulement remarquer mon absence ? Rit-elle, un poil vexée.

- Moi, je la remarquerai.

Jahia sursauta et se retourna vers la voix douce et familière qui avait parlé. Esraa se tenait devant elle d'un air penaud.

- Jahia, écoute, je... je suis désolé pour la dernière fois. J'ai eu tort, je regrette. J'avais surtout peur que tu partes encore.

- Mais, c'est le cas. Je pars encore, dans deux jours. Et quand je reviendrais dans un mois, ça ne sera probablement que pour quelques semaines. C'est ma vie maintenant, Esraa ; et je ne l'échangerai pour rien au monde.

Esraa ouvrit la bouche pour riposter, pour insister. La jeune Emissaire leva la main, fatiguée de parlementer. Depuis la mort de son père, Esraa était très seul. Sa mère décédée à sa naissance, et sans fratrie pour lui tenir compagnie, la majorité de ses interaction se limitaient au soin de ses animaux. Jahia comprenait le réconfort qu'il avait trouvé dans leur relation ; relation dans laquelle il s'était jeté corps et âme, sans prêter attention aux réticences modérées de sa partenaire.

- C'est évident. Nos vies sont incompatibles. Tu as raison, tu mérites de vivre avec quelqu'un à tes côtés, et non avec un fantôme. Et moi, je mérite de pouvoir vivre ma vie comme je l'entend.

Jahia fit une pause et reprit, la rancœur perçant dans sa voix :

- Et tu sais quoi ? Je mérite d'être reconnue pour ce que je suis, une Protectrice et Emissaire Ewe compétente. Ceci est ma tribu, autant qu'elle est la tienne.

Des larmes dans la gorge, les mots et les émotions de Jahia se bousculaient. Était-elle convaincue de ce qu'elle disait ? Ou courait-elle après la reconnaissance, comme l'en avait accusé Esraa ? Désespérée à l'idée d'appartenir à cette tribu qui l'avait sauvée, adoptée et rebaptisée, mais lui rappelait chaque jour qu'elle venait d'ailleurs ?

- Ce n'est pas ce que je voulais dire, bredouilla le jeune homme dans une veine tentative de se défendre.

- Peu importe, soupira Jahia. Le mal est fait. Et, tu n'as fait que mettre en lumière ce que l'on aurait dû voir déjà...nous n'avons rien à faire ensemble.

- Mais... je t'aime.

Jahia s'attendrit malgré elle.

- Non, tu ne m'aimes pas. Pas vraiment. Mais tu trouveras quelqu'un à aimer. J'en suis sûre.

Elle se retourna vers Malàk, caressant la fourrure entre ses oreilles.

- Je te confie Malàk pour une durée indéterminée. Probablement pour toujours.

Coeur Nomade T1 : Le Mystère des Ruines de TeliOù les histoires vivent. Découvrez maintenant