Chapitre Vingt-neuf - Pas de rouge

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La pointe du pinceau voyageait sur sa peau comme les nomades au travers du désert. Cheyma traçaient avec dextérité des arcs de cercles, des lignes et des points ; comme si le visage était une terre vierge à peupler de formes et de couleurs. Les fresques vives se mêlaient et se mélangeaient ; en contrastant magnifiquement avec la peau sombre de Jahia. Du jaune ambré pour la joie et l'énergie, un vert fertile pour la croissance et la vie ; et une once de bleu pour la confiance et la sérénité.

- Pas de rouge ? S'enquit la jeune Protectrice.

- Pas de rouge.

- Mais c'est la couleur des Ewes, insista-t-elle.

Une pointe d'angoisse tiraillait sa poitrine. C'était une soirée incroyablement importante. Elle ne pouvait rien laisser au hasard.

- Mais tu es bien plus qu'une Ewe. Tu es Jahia. Tu es une jeune femme forte et prometteuse, tu es le sourire qui m'accueille tous les matins et la lame qui protège ton détachement et ta famille. Tu es résiliente, puissante, attentionnée, intelligente.

La jeune fille sourit.

- Et tout ça va être écrit sur mon visage ?

- Shhhh, ne bouge pas, gronda gentiment la grand-mère en fronçant les sourcils de concentration.

Sur les toiles opaques de la tente, Jahia devinait les ombres projetées par le bûcher géant qui flamboyait au centre du campement. Des éclats de voix et des chants traditionnels parvenaient à ses oreilles, au rythme des percussions qui faisaient danser la nuit. Dehors, toute la tribu l'attendait. Jahia ferma les yeux et souffla longuement, évacuant l'inquiétude. Cheyma en profita pour poser deux ronds de couleurs sur ses paupières.

- N'aies pas peur, voyons. Tu mérites ce qui va t'être donné ce soir.

- Je l'espère.

- Bien sûr que tu le mérites, Jahia.

Zuri venait de faire son apparition dans la grande tente. Elle tenait entre ses deux mains un grand bol en terre cuite peint. Elle approcha et montra le contenu à son amie.

- Tembo a fait des merveilles.

Le frère cadet de Zuri était l'un des apprentis forgerons les plus prometteurs de la tribu. Il avait créé une cinquantaine d'anneaux argentés et dorés et avaient sculpté des perles nacrées du port de pêche de Xwula, spécialement pour la cérémonie de Jahia.

- C'est magnifique, dit-elle en plongeant la main dans les bijoux brillants pour ressentir les textures dures et froides.

Les anneaux de métal les plus larges étaient décorés de symboles tribaux évoquant la force de Teme, l'intelligence de Majii et la sagesse de Sama. Suhra et Hariq étaient également représentés sur certains bijoux. Zuri traîna un tabouret derrière Jahia et s'installa. Elle décora patiemment ses longues tresses, une à une. Pendant que Cheyma laissait sécher la peinture d'argile sur le visage de Jahia, elle lui présenta les autres bijoux qu'elle avait sélectionné. Des colliers et des bracelets de fils rouges et dorés, de coquillages et de perles et des chaînettes dont pendaient des crocs et des griffes. Jahia la laissa les lui enfiler aux oreilles, au cou, aux poignets, aux chevilles. Pour finir, la fière grand-mère dévoila un diadème filiforme en métal forgé, duquel pleuvaient des lignées de fines perles nacrées.

Une silhouette bien familière s'annonça à l'entrée de la tente. Personne n'était autorisé à rentrer pendant les préparations des cérémonies sacrées, alors Abayo resta dehors. Il souleva légèrement le pan d'entrée et parla d'une voix forte pour se faire entendre.

- Il est temps. On t'attend, Jahia.

Cheyma tapa deux fois dans ses mains et regarda sa petite-fille avec des yeux attendris. Zuri adressa un signe de tête entendu à Jahia, en serrant imperceptiblement son épaule pour lui donner du courage. Jahia s'avança vers la sortie de la tente, mais se ravisa soudain.

- Il manque quelque chose.

Elle fit demi-tour pour aller fouiller dans ses affaires, un coin de la tente envahit par des sacs ouverts et des vêtements. Elle trouva ce qui lui manquait et l'enfouit dans une des poches discrète de sa longue robe cérémoniale. Elle sortit, la tête haute, le poing dans sa poche, serrant la petite girafe en bois.




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Salut, toi ! Merci de m'avoir lue ! J'espère que ce chapitre t'a plu. Que cela soit le cas ou pas, n'hésite surtout pas à laisser un petit commentaire pour me dire ce que tu en as pensé ! ça m'aidera à m'améliorer :D

Coeur Nomade T1 : Le Mystère des Ruines de TeliOù les histoires vivent. Découvrez maintenant