Les Protecteurs se préparèrent à reprendre le voyage. Riel les amena au marché – légal, cette fois – et ils purent faire des provisions. Ils savaient qu'ils n'avaient pas besoin de beaucoup ; passé la chaîne montagneuse, les terres étaient bien plus généreuses. Kashka insista pour les accompagner, et elle fit les yeux doux à Peyam tout l'après-midi. Ils profitèrent encore quelques temps de la vie débordante et chaotique des rues de la ville de fer. Le soleil rasant donnait de couleurs ardentes à tout ce que ses rayons touchaient. Les trois voyageurs assistèrent à une course de machines ; des petites boîtes métalliques sur roues, qu'enfants et adultes remontaient à la main. Riel les informa que c'était un jeu très populaire à Ibo, et que de très grandes compétitions étaient régulièrement organisées. Chaque participant passait des mois à perfectionner sa machine, pour qu'elle soit plus rapide, plus maniable, plus résistante. A la fin, la fête battait son plein dans les rues d'Ibo pour célébrer le gagnant. Quand les ombres des montagnes grandirent pour engloutir le quartier, et qu'Alsham cessa d'éclairer les ruelles d'Ibo, les Protecteurs et leur guide retournèrent à la maisonnette perchée sur la montagne. Après un nouveau repas préparé par les soins de Peyam et plusieurs bolées de kuchoma, les Protecteurs s'affalèrent dans les coussins.
Jahia dormait d'un sommeil agité. Une terreur vague la faisait imperceptiblement froncer les sourcils, et une voix d'enfant muette criait derrière les images de ses rêves. Une paire d'yeux familière revenaient la hanter. Un grincement la réveilla en sursaut. La pièce était plongée dans la pénombre, mais les rayons de Nyame perçaient les vitres épaisses des fenêtres. Zuri et Peyam, à ses côtés, dormaient à poings fermés, presque l'un sur l'autre. Zuri avaient dû encore rouler dans son sommeil. Les ronflements sonores de Peyam rassurèrent Jahia en la raccrochant à la réalité. Un vent doux lui hérissait les poils, et elle remarqua la porte d'entrée entrouverte. Se redressant silencieusement, la jeune émissaire se déplaça comme une ombre jusqu'à la porte en fer. Elle jeta un œil vers les escaliers, puis, suspicieuse, elle observa l'embrasure. Une silhouette se détachait sous le ciel illuminé, paisiblement assise sur l'unique banc du jardin. C'étaient les pas de Riel qui l'avaient tirée de son sommeil. S'autorisant à baisser ses gardes, Jahia le rejoignit. A cette hauteur, le vent procurait une sensation entièrement différente. Plus frais et plus mordant que celui du désert, il fouettait le visage de Jahia comme pour mieux la réveiller. Riel l'entendit approcher mais ne daigna pas lui accorder un regard.
- Nyame n'a pas voulu de toi ?
Riel haussa les épaules sans répondre. Son regard vide fixait l'horizon.
- Nous avons ce qu'il nous faut, déclara Jahia. Nous quitterons Ibo demain.
Le jeune homme, toujours aussi placide, hocha la tête d'un air absent.
- Faites comme bon vous semble.
C'est à ce moment-là que Jahia remarqua le sac de tissu aux pieds du garçon. Des cordes et un grappin en dépassaient, luisant à la lumière pâle de la lune. Mais les formes sous l'étoffe abimée laissait deviner bien d'autres contenus.
- Qu'est-ce que c'est ?
- Rien qui ne te regarde.
La jeune fille soupira bruyamment. Elle dit enfin à voix haute ce qu'elle se murmurait depuis leur arrivée.
- Undiman a été assassiné, n'est-ce pas ?
On ne cherche pas à percer les mystères d'une mort naturelle. Il était arrivé quelque chose à l'ambassadeur Ewe, et Riel ne comptait visiblement pas rester les bras croisés. Le jeune homme leva ses yeux gris vers Jahia. La Protectrice réalisa que c'était la première fois qu'ils se regardaient dans les yeux. Finalement, ils n'étaient pas vides. Ils étaient nuageux, sombres, mouvementés, comme les tornades inattendues en plein désert.
- Oui.
La franchise de Riel la surprit. Allait-il répondre à ses questions ? A cette pensée, les mots se bousculaient dans la bouche de Jahia.
- Par qui ? Pourquoi ?
- Si je le savais... Je les aurais jetés de ce rebords et regardé s'écraser aux pieds d'Ibo. Et encore... cela serait une fin trop douce.
Ils se leva et ajusta le lourd sac sur son épaules.
- Que vas-tu faire ? S'enquit Jahia en fronçant les sourcils.
Ce jeune homme sentait l'imprudence à plein nez. Il leva les yeux vers elle et son regard de tempête la heurta comme une bourrasque.
- Tu as ton combat, et j'ai le mien. Toi et moi, nous sommes des solitaires. On se bat seul.
Sans un mot de plus, il quitta le jardin d'un pas déterminé. Jahia resta un moment au milieu du coin de verdure, avec pour seule compagnie Nyame et ses étoiles. Elle s'assit sur le banc en bois taillé ; son contact était lisse et doux, comme si une personne avait l'habitude de s'assoir ici depuis des années. Quelque chose disait à Jahia que ce n'était pas Riel. Elle leva les yeux vers l'éclatant croissant de lune. Que savait-il de son combat ?
Au petit matin, ce fut comme si la conversation de la veille n'avait pas eu lieu. Riel évita les regards comme à son habitude et leur servit son expression ronchonne. Mais il leur versa également un café savoureux avant de les raccompagner vers les portes sud-est d'Ibo ; et cela eut pour don de faire oublier sa mauvaise humeur. Les trois Protecteurs furent contrôlés par les gardes en noirs, puis on leur amena leurs chevaux, surveillés et nourris pendant leur séjour. Jahia ne pensait pas s'être inquiétée pour sa monture, mais retrouver le contact de Wëya lui fit un bien infini. La jument hennit en jouant avec sa cavalière. Prêts à reprendre la route, Peyam et Zuri firent avancer leurs chevaux au trot, pressés de quitter le démon de fer. Jahia resta en arrière. Elle remercia Riel pour son hospitalité et ne fit pas de remarque sur ses activités nocturnes.
- Undiman prenait soin de sa tribu, et les Ewes étaient toujours les bienvenus chez lui. Il a disparu... alors je prends la relève, dit-il simplement en retour.
Riel avait toujours cette voix sèche et ce ton cassant, mais Jahia ne s'y méprenait pas. S'ils étaient amenés à revenir à Ibo, il serait là.
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Coeur Nomade T1 : Le Mystère des Ruines de Teli
FantasyAprès un événement inexplicable et lourd de conséquences dans son enfance, Jahia a grandi pour devenir une jeune femme intrépide et prometteuse de la tribu Ewe. Toujours accompagnée de ses deux fidèles amis, Peyam et Zuri, la jeune guerrière se...