Chapitre Douze - En quoi crois-tu ?

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Le groupe d'Ewe mangea pour reprendre des forces : du pain ramolli par la chaleur, de la viande séchée et des fruits. Ils reprirent rapidement la route. Taye avait été soigneusement allongé sur le brancard de fortune tiré par Zuri, et recouvert d'étoffes claires pour le protéger du soleil. Liya chevauchait Malàk avec Jahia, et Amadi gigotait impatiemment dans le dos de Peyam. Ils s'arrêtaient très régulièrement pour vérifier l'état du blessé et lui donner de l'eau, mais celui-ci ne faisait qu'empirer. Le voyage jusqu'au campement s'annonçait long et fastidieux... Le soir venu, le groupe de Protecteurs et d'apprentis montèrent un petit camp dans une dépression entre deux dunes.

Ils partagèrent un repas succinct auprès d'un petit feu, mais aucun n'était d'humeur à raconter des histoires ou à chanter, comme il en était coutume. Peu de temps après, Zuri se serra dans sa tente avec Taye pour surveiller son état, et Liya insista pour rester avec eux. Peyam et Amadi partagèrent la leur, alors Jahia eu le luxe de pouvoir dormir seule. Pourtant, elle eut du mal à trouver le sommeil. Cette mission n'était pas un succès à proprement parler. Ils avaient certes retrouvé les jeunes... Mais bon sang ! Une oasis asséchée, une agression des Adorateurs de Suhra ... Le désert devenait de plus en plus dangereux. Et surtout, Jahia craignait que Taye ne survive pas au voyage. La dernière fois qu'elle l'avait vu, il était aussi pâle qu'un ciel nuageux, et ses lèvres sèches entrouvertes révélaient des saignements internes. Il était trop faible pour parler et sa respiration était sifflante. Jahia fouilla dans ses affaires et attrapa un bonbon citronné. Elle le suça en tentant de se remémorer de meilleurs jours.

Alors qu'Alsham commençait sa course dans le ciel, Jahia était la seule réveillée. Elle avait dormi d'un sommeil léger et agité. Une sensation de malaise et de désœuvrement ne quittait plus sa poitrine depuis la veille. Elle profita alors de ce moment de quiétude isolée pour faire quelques pas dans le désert. Le ciel avait pris une magnifique couleur rose, qui s'étalait et s'estompait à mesure que le soleil prenait sa place. A une dizaine de pas des tentes, Jahia ferma les paupières et focalisa ses sens sur son environnement. Elle se concentra pour sentir chaque grain de sable glisser et chatouiller la plante de ses pieds. Debout face à l'immensité du désert, elle apprécia le vent encore frais refroidir ses joues, et soulever ses nattes une à une. Inspirant profondément, elle respira l'odeur indescriptible du désert au petit matin : un parfum de grand espace, de fraîcheur et de liberté. Elle écouta les bruits des dunes : vivantes, elles chantaient avec une éloquence nonchalante, en se déplaçant imperceptiblement sous les bourrasques. Jahia tendit l'oreille un peu plus et prêta attention aux sons du quotidien, ceux que l'on oubliait. Les pans des tentes claquaient derrière elle, et au loin, des crissements d'animaux parvinrent jusqu'à ses tympans. Des gerbilles ou des chinchillas, peut-être. Les accessoires dans ses tresses - des perles, des bagues de métal et les crocs de ses anciennes proies les plus féroces – cliquetaient près de ses oreilles, dans une chorale dissonante. Après ces quelques minutes de concentration, Jahia se sentit entrer en résonance avec la grande mer de sable, et fut un peu plus à l'aise avec elle-même.

Elle rouvrit les yeux, pour constater avec surprise que Zuri s'était agenouillée à côté d'elle. Elle ne l'avait absolument pas entendu approcher. Les yeux fermés, ses lèvres remuaient imperceptiblement. Passé le temps d'étonnement, Jahia pensa que ce n'était pas pour rien qu'on l'appelait l'Ombre ; la jeune fille était d'une discrétion sans pareille. Jahia ne voulut pas déranger sa prière, alors elle s'assit en tailleur pour l'accompagner en silence ; observant les nuages voyager paisiblement dans le ciel, à l'image des tribus au travers des Terres de Shoara.

- Tu es bien spirituelle, pour quelqu'un qui ne croit pas aux Dieux.

Jahia sursauta presque, ne s'attendant par à ce que Zuri sorte de son recueillement de sitôt.

- Je... Ce n'est pas tout à fait correct, corrigea Jahia.

Elle ne craignait évidemment pas ses amis, mais de telles paroles pouvaient avoir de dangereuses répercussions, si quelqu'un de la tribu venait à les entendre. Zuri semblait d'humeur curieuse.

- Ah bon, et qu'est-ce qui est correct, alors ?

Jahia hésita, et prit son temps pour choisir ses mots.

- Je reconnais l'existence des Premiers Dieux et des Dieux Enfants. Je ne suis simplement pas convaincue de leur bienveillance.

Zuri hocha lentement la tête, pensive.

- Priais-tu ?

- Non... Je me recentrais, tout simplement.

Zuri sourit. Jahia avait l'impression qu'elle l'observait, la détaillait, la transperçait, d'un regard façonné d'yeux naïfs et d'une âme centenaire.

- En quoi crois-tu, Jahia ?

La jeune guerrière fut déstabilisée par la question. Zuri était l'une des rares personnes en qui elle plaçait sa confiance. Elle l'estimait beaucoup et pour cela, elle réfléchit réellement à la question, qui se révéla une véritable énigme. En quoi croyait-elle ? Elle croyait en la vie, qui persistait malgré tout. Elle croyait aux sables du désert, aux terres craquelées des terres arides, à la Maïsha qui coulait du Mont Kimungu à la Grande Mère ; elle croyait à la pluie bienvenue qui soulageait les longs mois de sècheresse, aux animaux qui mouraient pour nourrir les Hommes, et aux chants de sa tribu les soirs de fêtes. Elle croyait en ces terres, qui l'accueillaient en son sein chaque jour, pour lui permettre de voir le soleil se lever une fois de plus. Mais elle savait bien que ce n'était pas là le fond de la question de Zuri.

- Je ne sais pas, finit par dire Jahia dans un souffle. Je ne sais pas.

Dans un rare élan d'impudeur, Zuri posa sa tête sur l'épaule de Jahia.

- Ce n'est pas grave, murmura-t-elle d'une voix douce. Tu as des choses à explorer, à l'intérieur comme à l'extérieur. Et tu découvriras ce en quoi tu crois.

Le cœur de Jahia se serra. Les paroles de Zuri résonnèrent en elle et, bien qu'elle n'en comprenne pas tout le sens, elle eut l'impression que son amie lisait en elle comme dans un livre ouvert. Les deux jeunes filles restèrent encore un instant en silence, en communion avec le monde qui les entourait impassiblement.

Quand elles rejoignirent le campement, elles entreprirent de réveiller leurs compagnons de voyage. Tous se levèrent ; sauf Taye, que le sommeil avait à jamais emporté, pour un long voyage vers les Dieux, et vers une autre vie.



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Salut, toi ! Merci de m'avoir lue ! J'espère que ce chapitre t'a plu. Que cela soit le cas ou pas, n'hésite surtout pas à laisser un petit commentaire pour me dire ce que tu en as pensé ! ça m'aidera à m'améliorer :D

Coeur Nomade T1 : Le Mystère des Ruines de TeliOù les histoires vivent. Découvrez maintenant