Jahia s'ennuyait.
Accroupie devant la tente familiale, les yeux fixés sur la terre desséchée, elle comptait les fourmis qui allaient et venaient pour dépecer une miche de pain qu'elle avait chipée dans la cuisine de sa mère.
- 10, 11, 12, 13...
Elle n'était pas peu fière de savoir compter, elle qui ne pouvait pas aller à l'école.
Ces petites créatures, aussi minuscules soient-elles, étaient impressionnantes. Jahia les observait avec beaucoup d'attention et des centaines de questions jaillissaient dans sa tête d'enfant. Où allaient-elles avec ces miettes de mie rassies ? Allaient-elles nourrir leurs bébés fourmis ? Où était leur maison ? Surplombant les petits insectes de son corps maigrichon, elle se demandait si elles la prenaient pour une géante. Est-ce que les fourmis devaient se tordre le cou pour apercevoir son visage, comme Jahia quand elle écoutait les féroces histoires de Babu?
- 26, 27, 28...
- Jahia, cesse donc !
- Pourquoi, Mama ? J'aime compter. Quand pourrais-je aller à l'école ?
- Tu sais bien que les filles ne vont pas à l'école, Jahia, intervint Babu d'une voix dure, levant les yeux du livre jauni entre ses mains.
Il n'aimait pas aborder ce sujet avec elle. Il l'appelait souvent « tête de mule ».
Jahia aimait beaucoup Babu. Il était très savant. Parfois le soir, alors qu'elle était supposée dormir et que les adultes se rassemblaient près du feu pour débattre au centre du campement, Jahia se faufilait dans le noir, entre les tentes multicolores. Elle était venue tant de fois qu'elle était maintenant capable de reconnaître les adultes qui venaient le soir. Parfois, quand elle les croisait au marché en journée, elle leur disait bonjour dans sa tête. Mais eux ne savaient pas qu'elle les connaissait.
Elle pouvait les écouter parler des heures durant. Parfois de mathématiques, parfois de littérature, ou de l'histoire ancienne du pays. Parfois même, ils parlaient dans d'autres langues que Jahia ne connaissait pas. Elle apprit, par exemple, que les hommes descendaient du singe. Mais Babu n'avait jamais dit de qui descendaient les femmes. Il n'y avait que des hommes aux rassemblements du soir avec Babu, de toute façon. Jahia pensait que ce n'était pas juste. Elle ne comprenait pas toujours tout aux histoires du soir de Babu. Mais personne ne la laissait aller à l'école. Alors elle espérait devenir plus intelligente en grandissant.
- Va jouer plus loin, ma naartjie d'été. Tu déconcentres ton grand-père. Va jouer avec les autres enfants, d'accord ?
Sa mère, d'abord irritée par la voix incessante et monotone de sa fille, la regardait maintenant avec tendresse. Et un peu d'inquiétude, aussi. Najwa savait sa fille très caractérielle. Jahia ne s'entendait pas toujours avec les enfants de la tribu. Babu ne cessait de lui répéter qu'aucun homme ne la choisirait si elle persiste à être si entêtée. Mais Jahia pensait que sa mère s'inquiétait plutôt qu'elle se fasse des amis. Dans tous les cas, Jahia n'en avait cure. Elle n'avait pas besoin de garçon, et encore moins d'amis. Elle haussa ses petites épaules en faisant la moue et partit en traînant des pieds.
Elle traversa le centre dégagé du campement. Le soleil était haut dans le ciel et il faisait une chaleur étouffante. Les adultes s'étaient réfugiés dans les tentes alignées, ou à l'ombre des palmiers et baobabs. Jahia ne savait pas trop comment s'occuper. Elle n'avait plus ses amies les fourmis. Elle continua à marcher en regardant autour d'elle. Elle scruta le ciel bleu vif dans lequel l'absence de nuage se faisait remarquer. Même les oiseaux avaient déserté l'étendue bleu à la recherche d'un peu de fraîcheur. Là-bas, sur la ligne d'horizon mouvante, s'élevait les vieilles pierres des ruines de Teli. Les adultes disaient que ces vestiges étaient maudits par les dieux. Mais Jahia était sûre qu'ils mentaient. Ce n'était qu'une ruse pour effrayer les enfants et s'assurer qu'ils ne s'éloigneraient pas du village. Et aujourd'hui, Jahia se sentait d'humeur à défier les interdits. Un mince sourire se dessinant sur ses lèvres sèches, elle accéléra le pas. Mais sa bonne humeur s'évapora en s'apercevant qu'elle devrait traverser le terrain de jeux des autres enfants pour atteindre son but. Elle se prépara mentalement aux moqueries et se renfrogna. Elle fronça les sourcils et aiguisa son regard, dans l'espoir que personne ne vienne lui chercher des noises.
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Coeur Nomade T1 : Le Mystère des Ruines de Teli
FantasyAprès un événement inexplicable et lourd de conséquences dans son enfance, Jahia a grandi pour devenir une jeune femme intrépide et prometteuse de la tribu Ewe. Toujours accompagnée de ses deux fidèles amis, Peyam et Zuri, la jeune guerrière se...