Jahia se dirigea vers les tentes qui s'élevaient dans le lointain. Les Minas avaient établi leur camp autour des seules manifestations de vie au milieu de ces terres désolées. Quelques arbres s'élevaient tant bien que mal vers le ciel, mais les feuilles des baobabs tremblaient mollement et manquaient de se détacher à chaque souffle de vent chaud. La terre sèche était recouverte d'une mince pelouse jaunie parsemée de touffes de végétation mourantes. Les arbres permettaient à la tribu de trouver un peu d'ombre et d'apprécier le chant des oiseaux ; mais il n'y avait pas la moindre trace d'eau. Le puit le plus proches de cette localisation était encore à plusieurs kilomètres de marche, les Minas faisaient probablement une brève halte pour reprendre leurs forces. Jahia se dit qu'elle avait eu de la chance de les rattraper avant leur prochain départ.
Elle ralentit le rythme de Malàk en tirant doucement sur ses rênes. Elle approcha lentement du campement et bientôt, descendit de sa monture pour slalomer entre les tentes piquées dans la terre grise. Contrairement au campement Ewe où les tentes habitées étaient savamment disposées pour créer des chemins praticables de différentes tailles ; ici, les tentes semblaient avoir été posées au hasard. Jahia avait du mal à repérer la tente du Kiongozi dans ce désordre flegmatique.
La vie semblait s'écouler tranquillement au campement Mina. Les gens déambulaient calmement, certains étaient affairés à cuisiner ou tisser, des enfants jouaient bruyamment à chaque coin de tente. Mais petit à petit, les bruits de fond du camp s'étiolèrent jusqu'à laisser un seul murmure craintif. Les adultes avaient cessé leurs activités pour dévisager l'inconnue qui transgressait leur coin de terres. Jahia voulu demander son chemin, mais les expressions peu accueillantes des Minas la découragèrent. Elle continua à avancer à l'aveuglette sous les regards muets, tandis que des parents tiraient leurs enfants par le bras pour les éloigner d'elle. Jahia finit par apercevoir une tente qui se distinguait des autres. Elle était plus grande mais surtout, elle était peinte. Des tracés colorés donnaient vie à des silhouettes humaines et animales qui semblaient fouler la même terre que les habitants de la tribu. Au-dessus, les Dieux parents étaient représentés également. La toile géante semblait conter une histoire. Probablement l'un des nombreux mythes sur les Dieux et les Premiers Hommes. Jahia se dirigea d'un pas assuré vers ladite tente. Si elle avait été surprise par l'absence d'un quelconque corps de gardien de la tribu, il y avait cette fois-ci plusieurs hommes devant la tente du Kiongozi qui, malgré l'absence d'armes, semblaient avoir pour mission de la garder. Elle lâcha les rênes de Malàk à quelques mètres et caressa son museau.
- Tiens-toi bien. Je n'en ai pas pour long.
Car en effet, l'accueil austère des Minas lui laissait deviner qu'elle ne serait pas tolérée longtemps ici. Elle se tourna ensuite vers les quatre gardes devant la tente et les salua avec sobriété avant d'enchaîner :
- Je suis l'émissaire Ewe, envoyée par le Kiongozi Nabil-Obi. Je souhaiterais une audience avec votre Kiongozi. Des sujets très importants méritent d'être abordés.
Elle omit volontairement son nom pour ne pas éveiller les soupçons. Les gardes échangèrent des regards amusés puis s'esclaffèrent. Jahia se retint d'être impolie, voire violente. C'était la seconde fois qu'on se moquait d'elle alors qu'elle effectuait son devoir, et cela commençait à lui taper sur les nerfs.
- Messieurs. Je suis ici en mission diplomatique mais pas uniquement ; je rends service à votre tribu en venant avec une proposition pour votre souverain. Je vous prie de l'informer de ma présence.
- Les femmes n'obtiennent pas d'audience avec le Kiongozi, répondit l'un avec mépris.
- Elles n'en demandent pas non plus, d'ailleurs. Le plus souvent, elles connaissent leur place.
Jahia serra les dents et se retint de demander de quelle place ils parlaient donc. Elle plaça instinctivement une main sur le pommeau de son sabre à sa taille, à travers le lin de sa melafah.
- Comment vous appelez-vous ?
Si le plus gros des deux rétorqua qu'il n'avait pas à répondre à la question d'une femme, l'autre semblait d'humeur joueuse.
- Nomba.
- Bien. Nomba, vous n'êtes sûrement pas sans savoir qu...
- Et toi donc, femme ? As-tu un nom ?
La jeune Ewe resta interdite une demi-seconde, le temps de réflechir à sa réponse.
- O'Nyambe, dit-elle prestement en délaissant son prénom. Vous n'êtes pas sans savoir que la Sècheresse nous menace tous. D'ailleurs, je suis sûre que vous le savez, vous aussi, ajouta-t-elle en élevant la voix et tournant sur elle-même, s'adressant aux membres de la tribu qui observaient la scène avec une curiosité craintive. Autrement, pourquoi établiriez-vous campement au milieu des terres les plus sèches qu'on puisse trouver entre le Désert de Suhra et la ville d'Ibo ? Le puit que vous convoitiez est asséché, n'est-ce pas ? Cela fait trois mois qu'il n'a pas plu. N'avez-vous pas soif ?
Des visages interloqués hochèrent discrètement la tête. C'était une stratégie risquée, mais Jahia continua sur sa lancée.
- Que fait donc votre souverain, le responsable de vos vies, pour remédier à cette crise qui menace nos existences ?
Un silence de plomb tomba sur le campement. Les habitants semblaient mesurer la gravité de ces paroles. Les Viongozi avaient un devoir solennel de veiller sur leurs tribus et de faire tout ce qui était en leur pouvoir pour les guider au mieux au cœur des Terres de Shoara. Les gardes, d'une confiance excessive de prime abord, semblaient désormais mal à l'aise. Jahia planta un regard d'acier dans les yeux sans volonté du plus petit. Silencieux, il souleva le pan d'entrée de la tente et disparu à l'intérieur. Elle faillit le suivre, mais l'autre garde l'arrêta d'un geste de la main.
- Non, toi, tu restes ici. O'Nyambe.
Jahia aurait pu insister, mais elle pensa que c'en était assez de provocation pour aujourd'hui. Elle attendrait patiemment. Elle ne fut pas déçue, car peu de temps après, le garde revint pour l'autoriser à voir le Kiongozi. Jahia défit son turban, libérant ses longues tresses, et l'enroula autour de sa taille avant d'entrer en levant le menton bien haut.
A l'intérieur, l'atmosphère tamisée contrastait avecla luminosité agressive du soleil, et Jahia cligna des yeux pour se faire àl'obscurité relative. Les pans intérieurs de la tente étaient aussi décorés decouleurs vivent racontant des histoires. Des tapis en laine de mouton clairerecouvraient le sol et dans un coin de la pièce, un divan orange étaiententouré de plusieurs autres tabourets et fauteuils en bois. Sur la petite tableposée juste en face, une figurine à l'effigie de Yama, représentant une vigogne,était posée au milieu de bougies rougeoyants faiblement aux côtés d'une théièreen métal gravé. A l'opposé de la pièce, plusieurs étagères croulaient sous untas de bibelots et de vieux livres. Un rideau épais séparait la pièce d'accueildes appartements privés à droite. C'est par là qu'il fit son entrée.
***************************************
Salut, toi ! Merci de m'avoir lue ! J'espère que ce chapitre t'a plu. Que cela soit le cas ou pas, n'hésite surtout pas à laisser un petit commentaire pour me dire ce que tu en as pensé ! ça m'aidera à m'améliorer :D
VOUS LISEZ
Coeur Nomade T1 : Le Mystère des Ruines de Teli
FantasyAprès un événement inexplicable et lourd de conséquences dans son enfance, Jahia a grandi pour devenir une jeune femme intrépide et prometteuse de la tribu Ewe. Toujours accompagnée de ses deux fidèles amis, Peyam et Zuri, la jeune guerrière se...