Chapitre Vingt-deux - Les vôtres, les tiens, les nôtres

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Du coin de l'œil, elle remarqua une nouvelle silhouette. Ce n'était pas Zuri ; celle-là était grande et svelte, et une crinière de cheveux entourait sauvagement son visage indistinct. Jahia retrouva un semblant de sérieux.

- Ambe.



Surpris, Peyam s'empressa de se relever sans trébucher et cacha la gourde dans son dos, comme un enfant surpris le doigt dans le pot de confit de mangue. Ambe approchait sans se presser et dévisagea le jeune homme en arrivant à sa hauteur. Son regard roula vers l'alcool mal dissimulé.

- Je vais ignorer ce comportement ridicule car de toute façon, tu auras disparu d'ici trois secondes.

Décontenancé, Peyam déguerpit sans demander son reste. Jahia voulu pouffer mais retint ses rires dans sa gorge. Ambe affichait une mine sérieuse voire hostile, comme toujours. Ses cheveux indomptables détonaient encore plus que d'habitude sous les reflets de la lune rousse et de la lanterne multicolore ; et se détachaient nettement du fond de ciel sombre.

- Tu comprends pourquoi je t'ai défiée ce matin, Jahia.

La voix d'Ambe laissait place au doute, suspendue entre l'affirmation et l'interrogation.

- Euhm... pas vraiment.

Ambe haussa un sourcil, et Jahia crut bon de se justifier.

- Cela m'a paru infondé, et... personnel.

Le silence d'Ambe se prolongea, et Jahia ressentit un léger malaise face à ce visage à peine visible, indéchiffrable dans la pénombre relative de la nuit.

- Est-ce... est-ce à cause de Taye ? Enfin, à cause... à cause de moi.

- Taye ? Non. Non, Jahia, répondit la Protectrice Flamboyante d'une voix étonnamment bienveillante, dans laquelle Jahia cru déceler un soupçon de tristesse. Ce qui est arrivé n'était pas ta faute. Je sais que tu as fait au mieux, et c'est bien pour cela que c'est ton détachement que j'ai envoyé.

- Alors... vous saviez que les Adorateurs de Suhra étaient impliqués dans l'affaire ?

Ambe baissa les yeux. Jahia ne sut si c'était pas honte ou pour éviter son regard.

- J'avais de bonnes raisons de le croire, oui.

La jeune fille ne releva pas. Elle aurait pu être en colère d'avoir été envoyée dans la gueule du loup. Elle aurait pu lui en vouloir d'avoir risqué sa vie et surtout, la vie de ses compagnons. Mais rien de tout cela n'était vrai. Cette décision était en ligne avec les valeurs d'Ambe : un pour tous, et tous pour uns. Quelques soient les dangers ; les Protecteurs étaient une famille au sein de la famille plus grande encore des Ewes.

- Donc... pourquoi m'avoir affrontée, ce matin ?

Ambe planta son regard dans celui de Jahia et celle-ci eut l'impression de revoir la colère aigue et incontrôlable de la matinée.

- Tu as attaqué d'autres Protecteurs. Les gardiens du Kiongozi, qui plus est ! Je ne pouvais pas te laisser t'en tirer impunie. Il fallait un exemple pour le reste des Protecteurs, ou je nous exposais tous à davantage d'insubordination.

Jahia hocha lentement la tête.

- Je comprends.

Ambe ferma brièvement les yeux en remuant imperceptiblement les lèvres, comme pour peser ses mots.

- Néanmoins... je dois admettre qu'il était temps que quelqu'un leur donne une bonne leçon.

Les lèvres de Jahia tremblèrent en retenant un sourire amusé.

Elle avait cependant l'impression que ce n'était pas tout.

- ... mais encore ?

- Kiongozi Nabil-Obi m'a également demandé d'évaluer tes compétences en vue de ta prochaine expédition solo.

Elle marqua une pause dramatique avant de reprendre :

- Je viens de lui donner mon aval.

Jahia n'avait pu s'empêcher d'écarquiller les yeux sous la nouvelle. Cette mission était donc réellement une épreuve à surmonter. Le Kiongozi évaluait ses capacités à combattre, et à négocier. Quels donc étaient ses plans pour elle ? Pendant un instant, Jahia se sentit comme une poupée de chiffon dans les mains d'un enfant, livrée au bon vouloir de son imagination débordante. Ambe prit une grande inspiration et, d'un geste impatient de la main, elle ajouta d'une voix légère :

- Oh, et, aussi, j'étais sur les nerfs. Cela faisait longtemps que je n'avais pas combattu, j'avais besoin d'un adversaire de mon envergure.

Cette fois, Jahia éclata d'un rire franc qui sembla résonner jusqu'aux confins du désert, peut-être bien même jusqu'aux oreilles dressées de Suhra. Ambe leva à nouveau son sourcil rouge.

- Je dois dire que je ne m'attendais pas à cette réaction. Me trouves-tu risible, Jahia O'Nyambe ?

Jahia se força à se calmer.

- Eh, non, non, Ambe. On dirait bien que moi aussi, je suis un peu sur les nerfs.

Ambe la dévisagea, dubitative.

- J'imagine que chacun évacue à sa manière. Bon voyage, Jahia O'Nyambe.

La Protectrice Flamboyante tourna le dos, mais Jahia se surprit à la rappeler avec ferveur, d'une voix presque désespérée.

- Attendez.

Ambe s'arrêta sans se retourner. Jahia hésita. Les traces de la discussion avec Peyam et Zuri étaient encore vives.

- D'où... d'où venez-vous ?

Ambe fut vraisemblablement surprise par la question, mais ne s'en offusqua pas pour autant. Faisant à nouveau face à sa subornée, elle ria à son tour.

- T'attends-tu réellement à une réponse, Jahia sans-nom ?

Jahia ignora la pique, qu'elle savait uniquement là pour souligner l'ironie de la situation. La jeune fille haussa les épaules. Elle aurait dû s'en douter, cette question était stupide.

- Je suppose que non. Mais... vous manquent-ils... parfois ?

- Qui donc ?

- Eh bien, les vôtres. Votre tribu, votre peuple, qui qu'ils soient. Votre famille.

Ambe détailla Jahia, comme pour chercher à comprendre le motif de ces soudaines interrogations.

- Ils te manquent, à toi ?

Jahia fut un peu contrariée qu'elle esquive sa question en la lui retournant. Mais si elle demandait à Ambe de s'ouvrir un tant soit peu à elle, ne devait-elle pas en faire de même ?

- Je... je ne crois pas. Pas souvent, du moins... Est-ce que... Suis-je normale ?

Ambe prit un instant pour s'imprégner de ses paroles.

- Jahia, quand tu as débarquée chez les Ewes, tu refusais de prononcer ton propre nom. Je ne sais pas ce qu'ils t'ont fait, mais crois-moi, les « tiens » ne méritent pas tes regrets.

Sur ces paroles probablement plus amères que voulues, Ambe tourna les talons, et Jahia cette fois, ne la retint pas.



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Salut, toi ! Merci de m'avoir lue ! J'espère que ce chapitre t'a plu. Que cela soit le cas ou pas, n'hésite surtout pas à laisser un petit commentaire pour me dire ce que tu en as pensé ! ça m'aidera à m'améliorer :D

Coeur Nomade T1 : Le Mystère des Ruines de TeliOù les histoires vivent. Découvrez maintenant