Chapitre Quinze - Audience

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La vieille femme accueillit Jahia à bras ouvert. Elle avait fait mijoter un bouillon en rentrant de la cérémonie d'adieu, et l'odeur alléchante embaumait l'espace sous la tente. Cet instant de sérénité partagée avec les personnes qui lui étaient chères, remonta le moral de Jahia. Elle profita de cette ambiance plus légère ; de l'amour, des rires et des chansons d'Abayo au mbira. Cheyma insista pour jeter un œil aux plaies de la jeune fille, et changea ses pansements avant d'aller se coucher. Jahia dormit comme un bébé ce soir-là, épuisée par le long voyage et les multiples émotions. Malgré tout, elle se réveilla aux aurores, la boule au ventre. Sa première pensée fut pour le Kiongozi. Bien que Jahia l'ait rencontré à plusieurs reprises lorsqu'elle accompagnait Abayo dans ses devoirs d'émissaire, le grand homme l'impressionnait toujours. La veille, tous avaient dormi dans la tente de la grand-mère de Jahia. La jeune fille se leva discrètement et quitta la tente silencieusement pour regagner celle qu'elle partageait avec Abayo afin de se préparer à la rencontre. Elle enfila une tunique à manche longue et sa ceinture de combat, dans laquelle elle glissait toujours son nécessaire : sa dague, sa bourse, une gourde d'eau. Dans cette tenue simple, elle se sentait à nue. Elle pensait que sa tenue habituelle de Protectrice, conçue pour le combat, n'était pas été appropriée pour rencontrer le Kiongozi. Cependant, vêtue ainsi, elle avait l'impression d'être une enfant rejoignant ses amis pour jouer dans le sable. Elle décida d'enfiler tout de même ses épaulettes de cuir dont les sangles enlaçaient son buste ; et ses sandales de combat. Le contact familier des lanières de cuir la rassurèrent. Elle eut l'impression que ce peu de changement lui donnait un air un peu plus imposant. Elle plongea ses mains dans une bassine d'eau qui aurait dû être changée la veille, et se rafraîchit le visage. Le corps crispé par le stress, elle ne put avaler qu'une bolée de thé tiède. Elle glissa dans les interstices de sa large ceinture la carte confiée par Ambe, qui ne l'avait pas quittée depuis la mission. Elle peignit une expression assurée sur son visage, puis quitta sa tente en direction de celle du Kiongozi. Dehors, une brise fraîche caressa son visage encore humide. Elle traversa un campement encore endormi, inspirant un étrange climat de sérénité. Elle n'avait pas l'impression que quelqu'un était mort la veille. Au loin, elle aperçut la tente gardée par les deux Protecteurs permanents du Kiongozi. Maintenue par des arcs souples qui lui donnaient une forme arrondie, la hutte était ornée de cordelettes auxquelles teintaient des os, des crocs, et de petites sculptures en bois peintes. On ne pouvait pas la rater, elle était immense. Pour y être déjà entrée, Jahia savait que c'était parce qu'elle cumulait les espaces privés du Kiongozi et de sa famille, et la grande salle dans laquelle il recevait. Jahia joignit ses poings devant les deux Protecteurs. Deux hommes mûrs aux visages dures.

- Je souhaiterais une audience avec le Kiongozi Nabil-Obi.

Les deux gardes échangèrent un regard indécis. Ils devaient être habitués à voir toujours les mêmes personnes demander audience : Abayo, émissaire et bras droit du Kiongozi ; Ambe, Protectrice en charge, Atepah le géographe, Jahmani le chamane... mais Jahia était inconnue au bataillon. L'un des deux gardes se pencha vers elle.

- T'es qui ?

- Jahia O'Nyambe, Protectrice et responsable de détachement. Je suis rentrée de mission hier et j'ai des informations importantes à...

La jeune fille fut coupée dans son élan par les rires étouffés du second.

- Écoute, Jahia sans-nom, n'importe qui ne peut pas exiger une audience privée avec le Kiongozi.

Jahia fulminait et maudit sa réputation une fois de plus. Elle ne sut quoi dire de plus pour plaider sa cause, consciente qu'elle avait à faire à deux simples d'esprit. Cependant, elle ne pouvait se résoudre à simplement faire demi-tour. Devant l'absence de réaction de la jeune fille, l'un des gardes ajouta :

- Envoi ton faux père, si t'es pas contente.

Ce fut la goutte de trop. Elle foudroya les deux gardes du regard, et alors qu'ils étaient occupés à rire à gorge déployée, elle avança furtivement une main libre vers le poignard à la ceinture de l'un deux. Ils étaient entraînés à détecter les comportements suspects et à protéger le Kiongozi coûte que coûte. Jahia savaient qu'ils réagiraient de manière disproportionnée. Elle n'atteint volontairement pas l'arme, mais se prépara aux attaques des deux Protecteurs en rogne. Celui de droite tendit une main énorme vers elle, et Jahia en profita pour l'esquiver et attraper son bras, en offrant son dos et se moulant contre son adversaire. En se penchant et tirant de toutes ses forces, elle parvint à le faire passer par-dessus elle, le laissant s'écraser lourdement au sol. Écoutant son environnement avec ses cinq sens comme le lui avait appris Abayo et Ambe, elle entendit son souffle se couper sous le choc, accentué par sa lourdeur. À sa droite, elle entendait les pas précipités du second Protecteur. L'instant d'après, il se jeta sur elle. Profitant de sa taille plus petite, elle lui adressa facilement un violent coup de coude entre l'abdomen et le thorax. L'homme se plia en deux sous la douleur vivace.

- Par la droiture de Teme, que se passe-t-il ici ?


*


Un homme surmonté d'un grand turban rouge vif, brodé au fil d'or et piqué de perles noires, fit son apparition à l'entrée de la tente. Il écarquilla les yeux en voyant ses deux hommes vaincus. Jahia s'épousseta les mains et tenta de calmer son souffle haletant.

- Euhm, vous devriez changer vos gardes du corps. Vous pouvez certainement trouver plus performants dans nos rangs.

Se reprenant, elle s'empressa d'effectuer le salut nomade en abaissant exagérément son buste, formant un angle perpendiculaire avec ses jambes; un signe de grand respect.

- Kiongozi Nabil-Obi, dit-elle avec plus d'égards.

Elle attendit que le Kiongozi s'adresse à elle pour se relever. Celui-ci avait l'air contrarié.

- Qu'est-ce qui te permet, Jahia O'Nyambe, à venir tapager devant ma tente ?

- J-je vous présente mes excuses, Kiongozi. J'ai voulu demander une audience, mais vos gardes ne m'ont pas laissée entrer.

- Ils avaient peut-être une bonne raison.

- Leur seule raison était qu'ils ne reconnaissaient pas le nom que m'a donné la tribu Ewe, Kiongozi.

L'homme fronça les sourcils. Il sembla prendre le temps de la réflexion.

- Je t'accorderai le bénéfice du doute. Mais rappelle-toi que la tribu ne t'a pas accueillie et éduquée pour que tu attaques tes pairs.

Jahia baissa les yeux, un peu honteuse.

- Oui, Kiongozi.

- Le soleil vient à peine de se lever. Je suis ravi de te voir remise de ton voyage, mais nous aurons tout le temps d'aborder l'incident de ta mission plus tard. Prend donc le temps de te reposer.

- Kiongozi Nabil-Obi, avec tout mon respect... c'est une affaire de la plus haute importance.

Le regard de Jahia se fit insistant. Le Kiongozi sembla jauger la détermination de la jeune fille, et finit par hocher imperceptiblement la tête. Il ouvrit plus grand le pan d'entrée de la tente, et Jahia suivit son invitation. 



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Salut, toi ! Merci de m'avoir lue ! J'espère que ce chapitre t'a plu. Que cela soit le cas ou pas, n'hésite surtout pas à laisser un petit commentaire pour me dire ce que tu en as pensé ! ça m'aidera à m'améliorer :D

Coeur Nomade T1 : Le Mystère des Ruines de TeliOù les histoires vivent. Découvrez maintenant