Coeur Nomade T1 : Le Mystère des Ruines de Teli

Chapitre Vingt - Jahia

Le lendemain, Cheyma leva l'enfant plus tôt que d'habitude. Elle lui fit prendre un bain dans un bassin d'eau un peu trop fraîche et l'habilla d'un boubou coloré. Elle graissa et coiffa ses cheveux emmêlés avec une crème qui sentait la graisse d'animal et entrepris de lui apprendre les bonnes manières.

- Quand tu rencontres quelqu'un, tu dois les saluer. Comme ça, dit-elle en joignant les phalanges de ses poings fermés. Tu t'inclineras devant le Kiongozi.

Jahia suivait avec attention les enseignements de la vieille femme et hochait régulièrement la tête. Elle essaya même de parler, mais sa voix resta accrochée à son cœur et refusa de sortir de son petit corps. Cheyma continua à lui raconter des traditions Ewes en décorant ses cheveux de coquillages taillés et de cylindres de métal. Elle s'éloigna quelques instants et s'affaira dans un coin de la tente, envahie de pots de poudre colorée. Jahia l'observa avec des yeux attentifs. Cheyma prit un bol en bois et écrasa des morceaux de couleurs ensemble, en ajoutant du lait de chèvre au fur et à mesure.

- Approche, dit-elle finalement.

Jahia, retenant les mésaventures de la veille, ne tendit pas le doigt pour goûter la mixture. Elle renifla la pâte pigmentée. Elle avait une odeur épaisse et lourde, comme l'air des soirs d'orages. Jahia aimait cette odeur, même si elle se faisait de plus en plus rare.

- Je peux ?

Les yeux malicieux de Cheyma demandaient l'autorisation, tandis que son majeur et son index joints, attendaient suspendu dans l'air. Quand Jahia hocha de nouveau la tête, la vieille femme étala délicatement la bouillie colorée sur le visage de la petite fille. Jahia ferma les yeux, et senti le contact désormais familier, courir depuis son front, longer l'arête de son nez, effleurer ses lèvres et terminer sa course sur son menton. La sensation changea pour laisser place à une caresse légère et un peu rêche ; un pinceau chatouilla le dessous de ses yeux trois fois de chaque côté.

- Voilà. Une vrai Ewe, dit Cheyma en la regardant avec fierté.

Les commissures des lèvres de Jahia frémirent en un sourire timide, encore bancal et peu assuré. Mais Cheyma sembla le remarquer, et caressa la tête de l'enfant.

- Ça va être l'heure, maintenant.

Elle lui tendit sa main ridée, et elles quittèrent toutes les deux la tente familiale.

Jahia fut immédiatement assaillie par des dizaines de sensations dès qu'elle mit un pied dehors. Un vent chaud soufflait en bourrasque, rapportant des grains de sable du désert qui picotaient les joues de l'enfant. Des voix résonnaient de tous les sens, et quand la vue de Jahia se fut habituée à la luminosité éclatante de la fin de matinée, elle put distinguer une foule de personnes s'affairant dans les rues de terres battues qui sillonnaient les tentes. Des enfants jouaient, des adultes discutaient ; une femme frappait d'un lourd marteau à un rythme régulier un morceau de métal luisant ; un homme à quelques mètres, trempaient de longues étoffes vierges dans des bains de couleurs chatoyantes. Les membres de cette tribu battaient le campement d'une vie sans pareille : énergique, bavarde, affairée. C'était comme s'ils étaient pressés de vivre. Jahia était restée cloitrée dans la tente d'Abayo et Cheyma depuis qu'elle était arrivée. Elle refusait de sortir dès qu'elle entendait trop de mouvements au dehors, et les deux adultes avaient donc pris pour habitude de prendre l'air avec elle en début de nuit, quand la tribu s'endormait.

C'était donc la première fois depuis des jours que la petite fille était à nouveau au contact de la vie quotidienne, la vraie, l'ordinaire. Elle n'avait pas vécu grand-chose de très ordinaire dernièrement. Rassemblant toute la volonté que son petit corps pouvait bien abriter, elle sera fort la main de Cheyma, et la suivit dans la foule bruyante.