Chapitre Dix-neuf - La "Plume"

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Dix-sept ans plus tôt


Jahia et le groupe d'adultes fraîchement rencontré avaient atteint le campement depuis quatre jours. La petite fille n'avait pas reparlé depuis son dernier échange avec la vieille femme. Elle observait tout avec de grands yeux, notant le moindre détail, dans le plus grand des silences. Certains adultes en oubliaient presque sa présence tant elle était discrète, immobile et silencieuse. Mais elle voyait tout, entendait tout, et absorbait chaque parcelle d'information qui était mise à sa disposition.

Cette nouvelle tribu l'effrayait un peu. Ils étaient nombreux et bougeaient dans tous les sens. Les hommes et les femmes se mélangeaient sans aucune hiérarchie, et ils semblaient tous toujours pressés. Des gens s'affairent constamment autour d'elle, l'obligeant tantôt à manger, à boire, à marcher. Les adultes étaient curieux et lui posaient inlassablement les mêmes questions. Quel était son nom, quelle était sa tribu, ou était sa famille ? Comment s'était-elle retrouvée seule en de terres si hostiles ? Jahia en venait à regretter le silence indifférent des girafes.

On l'avait emmenée chez un soigneur qui l'avait examiné et avait affirmé qu'à part une déshydratation et quelques sévères coups de soleil, il n'avait rien de grave à signaler. On avait étalé une pommade grasse et nauséabonde sur les brûlures provoquées par le soleil qui couvraient ses bras et son visage. Puis on l'avait conduite chez un tisserand, qui avait donné à la petite fille plusieurs tuniques et pagnes colorés. Cheyma l'avait laissé choisir ses préférés et Jahia l'avait remerciée d'un rare sourire. La petite fille avait passé la majorité de son temps avec la vieille femme. Elles croisaient parfois le dénommé Abayo en journée, mais lui aussi était toujours pressé. Le soir cependant, il rentrait à la tente et partageait un repas avec elles. Bien que Jahia s'enferme toujours dans son mutisme, les deux adultes lui racontaient pleins de choses. Ils disaient qu'Abayo exerçait le rôle d'émissaire du Kiongozi, et qu'il avait des missions diplomatiques. Jahia n'était pas sûre de bien comprendre ce que cela voulait dire, mais elle continuait de fixer ses interlocuteurs comme si tout était limpide. Abayo était un homme imposant, il était grand et large, et il pouvait rendre sa voix rauque très intimidante. Pourtant, il parlait toujours avec une voix très basse et calme, sonnant comme une chanson douce du soir.

Par ses observations, Jahia eut vite fait de déduire que la vieille dame était la maman du grand homme. Elle était la personne de cette tribu que Jahia préférait, ou en tout cas, tolérait le mieux. Elle posait les questions une fois, puis n'insistait plus ; là où les autres se répétaient et reformulaient à l'infini, comme si Jahia était sourde ou simple d'esprit. La vieille dame lui avait aussi dégoté quelques jouets en bois représentant des animaux, et des poupées en tissus. Jahia avait rapidement boudé les marionnettes et prit pour cible les girafes sculptées. Alors qu'elle reproduisait sa rencontre avec les animaux divins sur le tapis de sol, elle s'arrêta soudain pour observer sa camarade de tente.

Cheyma était agenouillée sur un coussin brodé de bleu et de rouge, plusieurs carnets et feuilles éparpillées sur la table basse devant elle. Elle trempait régulièrement un bâton de bois dans un pot remplie d'un liquide noir, en chantonnant. Jahia abandonna ses figurines et s'approcha discrètement. Elle garda une distance de deux mètres et contempla l'activité de Cheyma. L'outil qu'elle utilisait lui permettait d'écrire plusieurs lignes sans avoir à le tremper à nouveau dans la peinture sombre. Elle continua l'opération pendant de longues minutes, imperturbable. La petite fille savait que Cheyma l'avait sentie approcher même si elle n'apparaissait pas dans son champ de vision. Du peu qu'elle la connaissait, Jahia pouvait déjà déterminer que la femme était extrêmement attentive et vive d'esprit. Elle finit par poser son outil et tourna la tête vers l'enfant.

Coeur Nomade T1 : Le Mystère des Ruines de TeliOù les histoires vivent. Découvrez maintenant