Chapitre Cinquante-deux - Le Secret des Terres Blanches

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Le groupe de trois Protecteurs descendirent les chemins escarpés du flanc ouest du Mont Kimungu. La hauteur de la montagne et les étendues plates qui les attendaient leur permettaient de distinguer la mer scintillante à quelques centaines de kilomètres. Une pause bienvenue à la Maïsha leur permit de se reposer et de remplir leurs gourdes, mais ils reprirent la route sans tarder. Ils passèrent devant le lieu de la Chama, non loin de la source de la Maïsha : une grotte accessible via un chemin abrupt dans la montagne, que peu de nomades avaient eu l'honneur de visiter. 

Bientôt, la roche et la poussière firent place aux terres fertiles. Peyam s'empressa de retirer ses sandales pour ressentir le rare toucher des herbes folles contre ses pieds nus. Ses deux camarades finirent par l'imiter, et ils parcoururent même un bout de chemin les pieds dans l'eau de la Maïsha. Jahia, Zuri et Peyam longèrent le long fleuve pendant plusieurs jours ; et la jeune émissaire pensa que c'était probablement l'un de ses voyages les plus agréables. A aucun moment ils ne manquèrent d'eau ou de fraîcheur, et les fruits et les plantes comestibles abondaient. Plus ils se rapprochaient de la côte et plus les palmiers et les proteas pullulaient et s'émancipaient des abords humides du fleuve. Le vent soufflait en apportant avec lui une odeur iodée, réveillant l'impatience des trois voyageurs.

 A l'aube de leur quatrième semaine de voyage, les premiers toits plats si typiques de Xwula firent leurs apparitions. La ville blanche s'imposait aux yeux des trois nomades avec une grandeur nonchalante. Les ressacs de la mer quelques peu lointains étaient couverts par les cris des mouettes, ceux des commerçants, et les conversations des habitants. Les Protecteurs pénétrèrent la ville, marchant au hasard entre les hauts murs blancs, se dirigeant toujours vers le sud : vers l'océan. Les rues étaient étroites et plus ils s'enfonçaient dans la ville blanche, plus elles étaient peuplées et agitées. Les maisons blanches, serrées et hautes, permettaient de casser le vent puissant du large et de protéger les habitants du soleil mordant. Jahia remarqua que beaucoup des passants avaient la tête nue et portaient des tuniques ou des robes légères à manches courtes. L'architecture de la ville protégeaient ses habitants des éléments suffisamment pour que ceux-ci n'aient pas à se couvrir de couches de vêtements, comme les nomades le faisaient depuis des générations. Ils traversèrent quelques places logées au milieu des quartiers d'habitations, où les enfants semblaient se rassembler pour jouer sous les regards attendris de leurs parents. 

Puis enfin, les maisonnettes se dispersèrent pour faire place au célèbre port de Xwula. Cet espace marchand était exactement ce qu'il fallait à Jahia pour accomplir sa mission. Les rumeurs disaient que les secrets n'existaient pas au port de la ville blanche ; qu'ils serpentaient entre les Hommes, se faufilaient de bouches à oreilles, et ne s'évaporaient jamais totalement. Abayo lui avait dit que si un jour elle cherchait des informations, c'est ici qu'elle les trouverait. Mais il l'avait aussi mis en garde : à Xwula, les secrets venaient toujours avec un prix.

- Je n'ai jamais vu autant de poissons de ma vie, s'exclama Peyam, qui bavait déjà devant les étals.

Zuri secoua la tête d'un air exaspéré.

- Est-ce qu'il a l'estomac à la place du cerveau ?

Jahia pouffa de rire.

- Hé, explorons d'abord le marché. Rappelez-vous, on cherche des informations sur la production salière de la saison dernière. Ensuite, nous pourrons nous reposer. Abayo m'a donné le nom d'une auberge tenue par un ancien émissaire Ewe.

Les deux Protecteurs hochèrent sagement la tête et attachèrent leurs montures au poteau de bois qui longeaient la côte, à destination des petits navires. Ils se dispersèrent dans la foule.

Le marché était gigantesque. Il longeait toute la côte et s'étendait plus loin encore que le port. Jahia scanna son environnement. À sa droite, les étals se multipliaient, vendant de tout et de rien : beaucoup de poissons et de fruits de mer, de toute évidence ; mais aussi des fruits, des légumes, des céréales, des étoffes, du cuir, des tapis, des bijoux, des objets de toutes sortes. A sa gauche, la terre battue était bordée de rochers ardus sur lesquels venaient se briser les vagues écumantes. Une odeur marine embaumait l'espace malgré le vent téméraire qui fouettait la côte. A quelques centaines de mètres, des pontons surveillaient le large, sagement rangés les uns derrière les autres, accueillants des voiliers de tailles impressionnantes. L'un d'eux venait probablement de jeter l'ancre, car des matelots en descendaient en chantonnant, les bras chargés de tonneaux et de filets frémissants. Jahia se demandait jusqu'où allaient les bateaux qui quittaient les Terres de Shoara pour s'aventurer dans la Grande Mère. 

Se reconcentrant sur sa mission, elle détailla la foule qui s'agitait autour d'elle. La plupart était des commerçants se procurant des matières premières ou des familles se promenant. La jeune émissaire remarqua aussi les regards aiguisés des marchands et de certains passants. Ils fouillaient le monde qui grouillaient d'empressement, cherchaient les personnes inhabituelles, guettaient un indice opportun. Certains de ses regards passèrent discrètement sur elle sans s'arrêter, mais Jahia ne s'y méprenait pas. Ils l'avaient remarqués. Elle n'était pas vraiment discrète, habillée de sa melafah vive, alors que la tenue traditionnelle des Xwus était faite de lins clairs. Peut-être auraient-ils dû passer à l'auberge en premier et se changer, pour se fondre un peu mieux dans le décor. Trop tard. Même si elle se sermonnait intérieurement pour cette erreur tactique, Jahia ne laissa pas paraître son incertitude et commença à divaguer entre les étals. Elle fit semblant de s'intéresser à un atelier qui confectionnait des bijoux à partir des perles d'huitres ramenées par les marins. Jahia se pencha et caressa du bout des doigts, les perles nacrées irrégulières.

Coeur Nomade T1 : Le Mystère des Ruines de TeliOù les histoires vivent. Découvrez maintenant