- Par la colère de Majii...
Quatre yeux hébétés la fixaient avec un mélange de frayeur et de stupéfaction. Jahia fit rouler sa tête sur sa nuque et sautiller ses épaules : revenir sur ces souvenirs avaient crispé chaque parcelle de son corps. Elle était soulagée que cela soit fini. C'était sorti, elle l'avait dit, elle avait mis des mots sur ce sombre mystère vieux de dix-sept années. Elle pensait qu'elle se sentirait mieux, après. Elle pensait que c'était ce secret qui pesait dans sa poitrine. Mais si le voile était levé, le poids lui, était resté. Elle avait révélé son secret au grand jour, ce fut difficile, mais maintenant, elle savait qu'elle devait se préparer à répondre à de nombreuses questions.
- Comment est-ce possible ? Es-tu sûre que tu n'as pas halluciné ? Questionna Peyam, l'esprit très terre-à-terre.
- Crois-moi, j'aurais préféré que ce ne soit qu'un mauvais rêve...
- Un monstre sous-terrain... ce ne peut qu'être l'œuvre d'esprits malins ou de dieux, bredouilla Zuri. Des dieux en colère.
Jahia ne répondit pas. Elle n'en savait rien, comment pouvait-on prétendre comprendre ce qu'il s'était passé cette nuit-là ? Les évènements qui avaient pris place aux ruines de Teli dépassaient l'entendement. Même après son récit, Peyam et Zuri ne pouvaient pas imaginer la noirceur qui émanait de la bête et la terreur infernale qui avait martelé le cœur de Jahia.
- Dieux ou pas, finit par dire Jahia toujours aussi dubitative, je m'étais promis d'y retourner. Mais... les années passent, et... je me trouve de plus en plus lâche.
- Quoi ? Mais ça va pas ?
Peyam grimaçait.
- S'il m'était arrivé la même chose qu'à toi, jamais je n'y remettrais les pieds. J'en oublierais chaque seconde pour ne jamais avoir à y repenser.
- C'est impossible à oublier, répondit Jahia d'une voix emplie d'émotions.
Ce qu'elle aurait voulu l'oublier. Certes après tout ce temps, l'enchaînement des évènements étaient saccadés et flous. Elle se souvenait de la bête, des ruines, des entrailles soufflantes de la terre, de sa course effrénée... mais comment était-elle sorti de ce labyrinthe, déjà ? C'était il y a si longtemps, mais les émotions liées étaient toujours aussi brûlantes.
- Et les Minas... c'est à cause de ça, qu'ils t'ont abandonnés ? S'enquit Zuri d'une petite voix compatissante, conscience qu'elle marchait sur des œufs.
Jahia hocha la tête.
- Ils ont « demandé à la Déesse Mère » et ont décrété que je portais la même malédiction que les ruines.
Elle fut soudain assaillie d'un terrible doute.
- Vous... vous ne le pensez pas aussi, n'est-ce pas ?
Cette fois, c'est Zuri qui approcha son cheval du sien, et se pencha de côté pour l'enlacer maladroitement.
- Bien sûr que non.
- On n'a pas peur des malédictions, nous Ewes ! On les dégomme, les malédictions ! S'écria Peyam.
Jahia rit face à cette positivité naïve, si typique de Peyam.
- Quelle idée, aussi, d'aller seule dans des ruines maudites ! Renchérit-il sous les rires enthousiastes de ses deux amies. Ça te ressemble bien, Jahia tête brûlée. Ça au moins, c'est un secret pour personne !
- Regardez ! Nous sommes déjà à l'Oasis.
Zuri pointait les palmiers ondulants à l'horizon. Il leur restait encore une bonne heure de trot avant de l'atteindre ; l'oasis était visible de loin car elle était la seule irrégularité à des kilomètres à la ronde, plantée au milieu d'une terre plate.
Les trois amis étaient impatients d'arriver à la plus grande oasis des Terres de Shoara. Cet îlots de fraîcheur s'étendait sur cinq kilomètres, accueillant un lac gigantesque et plusieurs bassins d'eau douce, des sylves d'arbres et de bosquets florissants, et des animaux qui y avaient élu domicile. L'oasis KatiKati était un paradis sur Terre. Cette petite jungle frémissait de vie entre les chants des oiseaux dans les hauteurs, et les petits mammifères qui papillonnaient de buissons à terriers. Les tribus y passaient chacune une fois par an pour un repos de plusieurs semaines et se partageaient la remarquable ressource équitablement. L'oasis KatiKati marquait souvent la moitié du chemin lorsque les tribus provenaient du fond du Désert de Suhra et devaient rejoindre la chaîne montagneuse pour la Chama annuelle. Cela faisait un peu plus d'un an que les trois Protecteurs n'y avaient pas mis les pieds, et ils trépignaient d'impatience de pouvoir plonger dans l'eau fraîche du lac et goûter aux fruits abondants des arbres. Quand il ne resta plus que cinq cent mètres, Zuri donna un coup de talon dans les flancs de son étalon et partie au galop, donnant le départ à une course effrénée. Les trois cavaliers foncèrent jusqu'à ce que leurs chevaux ralentissent d'eux même, entravés par la végétation opulente. Jahia descendit de sa monture, rapidement suivie par ses deux amis. Abrités par de grands bananiers, les trois voyageurs apprécièrent en silence l'ombre qui caressait leur peaux.
- Là-bas, il y a un chemin, remarqua Peyam.
L'oasis était tapissée de chemins pavés pour s'y repérer. Autrement, la végétation luxuriante obstruait la vue et compromettait l'orientation de leurs habitants temporaires. Rênes en main, les trois amis suivirent la petite route qui grimpait une colline verdoyante. Le sommet surplombait le désert et offrait un bassin bleu turquoise, entouré de roche poreuse et de palmiers.
- Wow.
Peyam n'attendit pas une seconde de plus et commença à ôter un à un, les éléments de son armures et ses vêtements. Sans attendre, il sauta dans l'eau, éclaboussant ses partenaires.
- Peyam, doucement ! Cria Zuri, toujours aussi prévenante.
Jahia rit et suivi son camarade. Elle retira sa melafah, envoya valser ses jambières et ses épaulettes, et entra dans l'eau en tunique légère. Peyam déjà entièrement mouillé, l'éclaboussa sans ménagement. Les vagues semblaient glacées en contraste avec la chaleur qu'ils ressentaient encore quelques minutes plus tôt. Les chevaux s'étaient attroupés aux abords du bassin pour s'abreuver.
- Zuri, viens ! Qu'est-ce que tu attends ? S'écria Jahia, en remarquant que la cadette avait délaissé les chevaux pour admirer la vue imprenable sur l'oasis qui s'offraient à eux.
Peyam porta un doigt à ses lèvres, intimant à Jahia de rester silencieuse et portant à croire qu'il manigançait encore une farce. Il sortit du bassin et s'approcha doucement de Zuri, qui faisait face au reste de l'oasis, tournant le dos au bassin. Il l'enlaça par derrière en la serrant fort, collant son torse trempé à son dos encore brûlant. Zuri poussa un cri aiguë sous l'effet de la brutale différence de température.
- Toi... !
En colère, elle lui asséna un coup sur la tête. Mais elle se radoucit rapidement sous les éclats de rires de ses amis.
- Qu'est-ce qu'il y a de si intéressant pour te retenir de prendre un bain ?
Reprenant son sérieux, Zuri leva le bras vers l'horizon.
- Nous ne sommes pas seuls ici.
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Coeur Nomade T1 : Le Mystère des Ruines de Teli
FantasyAprès un événement inexplicable et lourd de conséquences dans son enfance, Jahia a grandi pour devenir une jeune femme intrépide et prometteuse de la tribu Ewe. Toujours accompagnée de ses deux fidèles amis, Peyam et Zuri, la jeune guerrière se...